En 2004, le directeur du Projet pilote de gestion et de contrôle des concessions forestières (PPGCCF) de la Banque mondiale a décrit le système de concessions forestières du Cambodge comme « inapproprié sur le papier, dysfonctionnel dans la réalité ». Il aurait pu ajouter que tous les concessionnaires ont commis des infractions des lois ou des contrats et mis à sac ce que la Banque mondiale a dénommé « la ressource naturelle la plus importante du Cambodge du point de vue du développement ». Ces considérations n’ont pourtant pas empêché la Banque mondiale de consacrer cinq années à appuyer ce même système erroné de gestion et les pirates qui l’appliquent.
La Banque a lancé le PPGCCF de 5 millions US en 2000, dans le but de réformer le système de concessions du Cambodge en apportant de l’assistance technique à l’Administration des forêts et aux exploitants des concessions. Le PPGCCF était lié à un crédit d’ajustement structurel (CAS) de 30 millions US octroyé au pays. La Banque a conditionné le décaissement de la deuxième tranche de 15 millions de ce prêt aux progrès de la réforme du secteur forestier.
Il était raisonnable de lier les versements du prêt à la performance du gouvernement dans le secteur forestier. En revanche, l’hypothèse de la Banque, suivant laquelle il était possible de faire fonctionner le système de concessions existant, était entièrement déplacée. Au moment où le projet a été mis en marche, Global Witness et d’autres avaient déjà documenté les activités des concessionnaires – l’extraction illégale, la violation des droits des résidents et l’absence généralisée de paiement des redevances sur la vente de gros – depuis plusieurs années. En fondant les objectifs de son projet sur la supposition qu’il fallait maintenir le système en place, la Banque a imprudemment fusionné ses intérêts avec ceux des entreprises forestières et de leurs patrons gouvernementaux.
La décision de la Banque d’utiliser l’argent au profit des entreprises forestières a enfreint sa politique forestière de 1993. Pourtant, les architectes du PPGCCF avaient prévu avec une anticipation de presque deux ans l’introduction d’une politique différente et plus permissive ; de fait, les documents du projet prédisaient déjà en 2000 que la révision de la politique 1993 de la Banque « allait légitimer la participation à la foresterie de production ». Le PPGCCF semble avoir été conçu pour em prévision des futurs projets forestiers de la Banque mondiale qui allaient comporter un soutien direct de l’exploitation forestière commerciale.
L’élément le plus important du projet a consisté à aider les entreprises à remplir les conditions fixées par le gouvernement pour les nouveaux plans de gestion forestière durable et les évaluations d’impact sur la société et l’environnement. Le personnel du projet a ensuite évalué ces mêmes plans qu’il avait contribué à élaborer, en appliquant un système de notation qui accordait une importance beaucoup plus grande au volume de bois sur pied qu’à la qualité du programme ou à la consultation du public.
La tâche principale du PPGCCF a consisté à baisser la barre pour les compagnies et à diluer ou contourner les normes. La Banque a demandé d’ajourner les évaluations d’impact sur la société jusqu’au moment où les entreprises auraient obtenu l’approbation de leurs programmes stratégiques (25 ans). De plus, elle a refusé d’obliger les entreprises à respecter les délais accordés. En décembre 2001, le gouvernement a suspendu l’abattage et le transport de bois, après que tous les concessionnaires ont omis de soumettre à temps leurs plans de gestion. Mais la Banque a réussi, par du lobbying, à faire lever l’interdiction de transport, éliminant ainsi l’un des rares outils de pression sur les entreprises.
En novembre 2002, la Banque a accepté de se charger, à la place du gouvernement cambodgien, de l’obligation légale de divulguer les plans de gestion des concessionnaires. Pourtant, lorsque les villageois sont venus demander ces documents aux bureaux de la Banque à Phnom-Penh, les services de la Banque leur ont annoncé qu’ils n’avaient pas les fonds nécessaires pour faire les photocopies nécessaires. Au cours des semaines suivantes, les entreprises et les fonctionnaires ont organisé tardivement des consultations publiques pour discuter des plans. En dépit du fait que certaines d’entre elles ont été gâchées par des actes d’intimidation, le vice-président régional de la Banque s’en est déclaré satisfait.
Les efforts du PPGCCF pour aider les concessionnaires à compléter le processus de planification de gestion forestière sont arrivés à un point critique vers la mi-2004, lorsque l’équipe du projet a recommandé au gouvernement cambodgien d’approuver les plans stratégiques de six entreprises forestières. Suivant les documents du PPGCCF, « les plans de gestion et d’opération des concessions développés avec l’aide de l’assistance technique pourront servir de modèle aux plans du même genre qui seront formulés par la suite dans toutes les concessions en activité ». Au vu de la qualité des plans que le projet a recommandé d’approuver, on peut seulement espérer que ces prévisions ne se réaliseront pas. Ces six « modèles » incluent l’intention déclarée des concessionnaires de couper les arbres résineux des villageois, en violation de la loi, des propositions pour exclure illégalement des concessions les résidents des lieux, et des passages entiers copiés des plans d’autres entreprises. La Banque peut alléguer que ses interventions ont contribué à l’adoption d’une série d’objectifs de la réforme du système forestier sur lesquels il existait un accord général. En fait, ces interventions ont servi à éliminer les précautions destinées à exclure les entreprises prédatrices et à permettre au peuple cambodgien de demander des comptes à toutes les autres. Grâce au PPGCCF, la position des six entreprises dont les plans ont été approuvés est maintenant plus forte qu’avant le démarrage du projet. Sans l’assistance technique du PPGCCF et sans son attitude accommodante, aucune d’entre elles n’aurait eu la possibilité de dépasser le stage de la planification stratégique. De surcroît, les six entreprises peuvent maintenant utiliser cette situation pour détourner les critiques de leurs opérations. Pendant les 25 prochaines années, ou plutôt jusqu’à ce qu’elles aient fini de vider leurs concessions, elles se présenteront comme les concessionnaires qui ont reçu l’approbation de la Banque. De son côté, la Banque n’a pas réussi à introduire dans la gouvernance du secteur forestier des changements susceptibles de persuader les entreprises qu’elles devront respecter davantage la loi et les droits de la population locale lorsqu’elles reprendront leurs activités.
Les mésaventures de la Banque quant à la réforme des concessions n’ont pas persuadé le gouvernement cambodgien de respecter les conditions établies pour le décaissement de la deuxième tranche du CAS. Plusieurs d’entre elles n’avaient pas encore été remplies avant la nouvelle échéance prévue pour décembre 2003. En particulier, il manquait que les concessionnaires complètent le programme de restructuration et de planification. Pressée d’en finir avec ce CAS contentieux, la Banque a déclaré, contre toute vérité, que la seule condition que le gouvernement n’avait pas encore remplie était d’engager un nouveau superviseur indépendant du secteur forestier. Ce problème a été instantanément résolu : à travers le PPGCCF, la Banque a trouvé l’argent nécessaire pour embaucher dans cette capacité la société suisse SGS. Ainsi, les 15 millions de dollars du CAS ont été dûment payés. Mais ce tour de passe-passe de la Banque a porté un coup sévère à sa crédibilité.
Les critiques qui se succèdent depuis des années n’ont pas suscité des changements substantiels dans l’attitude de la Banque au Cambodge. Il y a des indices que certaines personnes, au sein de la Banque, reconnaissent que de graves erreurs ont été commises. Néanmoins, le personnel de direction a toujours refusé de regarder la situation en face et de réparer les dégâts. En février de cette année, un groupe de Cambodgiens, appuyés par des ONG, ont présenté une plainte au Panel d’inspection de la Banque mondiale, où ils manifestaient que le PPGCCF avait considérablement augmenté la possibilité que les communautés subissent encore des préjudices aux mains des concessionnaires forestiers dans un avenir proche. À la suite d’une visite au Cambodge à la mi-mars, le Panel devra adresser au Conseil de la Banque, début avril, une recommandation indiquant s’il est nécessaire ou non de mener une enquête complète sur les activités et les impacts du projet.
Pour de plus amples renseignements sur la plainte présentée au Panel d’inspection, contacter Mike Davis, mdavis@globalwitness.org. Pour un résumé des problèmes concernant le paiement de la deuxième tranche du CAS par la Banque mondiale, voir l’article de Global Witness : http://www.phnompenhpost.com/TXT/comments/c1301-1.htm.
Global Witness, adresse électronique : mail@globalwitness.org