Les forêts de l'Indonésie sont en train de s'épuiser progressivement, depuis que dans les années 1960 la pratique est devenue courante d'octroyer des concessions d'exploitation à des militaires de haut rang. L'abattage s'est rapidement accru pour approvisionner en grumes bon marché l'industrie ligneuse japonaise, surtout pour la production de contreplaqué. Sous la forte pression des programmes de colonisation dirigés par le gouvernement, la perte des forêts s'est accélérée, aggravée encore par des projets de grande envergure, dont certains étaient mis en oeuvre avec l'assistance étrangère, pour développer la production d'arbres dans des "forêts en conversion". Vers le milieu des années 1970 le gouvernement indonésien a limité, puis interdit l'exportation de bois brut, ce qui a eu pour effet d'offrir un marché protégé à l'industrie nationale du contreplaqué et du bois manufacturé. Celle-ci a donc développé un appétit vorace pour le bois, de sorte que peu après la demande dépassait les possibilités d'approvisionnement. Les frontières d'exploitation ont vite été poussées jusqu'aux régions lointaines de Kalimantan, de Sulawesi, des Moluccas et de l'Irian Jaya (Papouasie de l'Ouest). A la fin des années 1980, des ONGs estimaient que la déforestation en Indonésie atteignait environ un million d'hectares par an, quoique ce chiffre ait longtemps été démenti par le gouvernement. Mais des études récentes situent le taux de déboisement encore plus haut -environ trois millions d'hectares par an- et signalent que plus de la moitié du bois est extrait de façon illégale.
Suivant les affirmations du Centre pour la Recherche agroforestière:
"Au début des années 1980, dans ce qui peut être considéré comme une des plus grandes appropriations de terres de l'histoire, le gouvernement a mis en place un système de zonage qui a classé la plupart des îles extérieures comme des terres forestières. Soixante-dix-huit pour cent de l'Indonésie, ou plus de 140 millions d'hectares, ont été placés sous la responsabilité du Département Forestier et Agricole. Ceci incluait plus de 90% des îles extérieures. Suivant les estimations, 65 millions de personnes habitent dans ces régions. D'après le Département Forestier, la création des forêts domaniales a annulé les droits de l'adat [loi coutumière orale], rendant ainsi invisibles des milliers de collectivités pour ce qui est du processus de planification de la gestion, tout en les transformant en squatters dans leur propre terre ancestrale. Comme résultat, les concessions d'exploitation ligneuse, les plantations d'arbres à bois, les aires protégées, et les programmes de migration patronnés par le gouvernement ont été directement appliqués sur des millions d'hectares de terres communautaires, en provoquant une situation de conflit généralisé. Et pourtant, pour de nombreux habitants la loi traditionnelle ou 'hukum Adat' régit encore les pratiques de gestion des ressources naturelles".
Depuis la chute de Suharto en 1998, la protection politique dont bénéficiaient ses copains s'est progressivement effritée, et des politiciens et fonctionnaires réformistes ont commencé à pousser dans le sens d'introduire des réformes plus larges en matière de politique forestière. Sous la pression des ONGs et de la société civile, qui a de plus en plus confiance en elle-même, le Département de la Foresterie s'est vu obligé de céder, du moins en partie, aux demandes d'accès et de contrôle des forêts pour les communautés.
Un des points en discussion concerne quelles sont précisément les aires classées comme forêts domaniales. Les chiffres officiels récemment publiés indiquent que seulement 68% des régions déclarées forêts domaniales ont été effectivement délimitées et désignées comme telles, mais aucune carte claire n'est disponible pour permettre aux communautés de savoir si elles habitent dans des aires classées ou dans les 32% restants qui, formellement, sont encore sous la juridiction du Ministère des terres agricoles. D'autre part, beaucoup de communautés mettent aujourd'hui en question la légalité de la manière dont les terres forestières ont été délimitées et classées. Souvent, les procédures formelles requises pour consulter l'administration locale et les communautés concernées n'ont pas été respectées, de sorte que l'annexion de terres communautaires aux fins de l'établissement de forêts domaniales pourrait maintenant être attaquée au tribunal.
Un fort mouvement de la société civile s'est constitué pour défier le contrôle étatique des forêts. Il rassemble plusieurs alliances d'ONGs, d'autres représentants de la société civile tels que la Coalition pour la Démocratisation des Ressources naturelles (KUDETA), le Forum de Communication sur la gestion communautaire des forêts (FKKM), le Consortium pour l'appui du Système de Gestion communautaire des Forêts (KpSHK) et l'Alliance des Peuples Indigènes de l'Archipel (AMAN). Bien que leurs tactiques et leurs priorités varient, tous réclament la dévolution du contrôle des forêts aux communautés locales. Ces initiatives ont bénéficié d'une aide financière considérable de la part d'ONGs et de fondations étrangères concernées par le développement.
Le Département Forestier a pris plusieurs mesures pour canaliser ces pressions. En janvier 1998 il a approuvé un décret par lequel il reconnaissait les droits des communautés de Krui, au Lampung de l'Ouest, au contrôle permanent de leurs forêts sous le régime de la gestion communautaire. Vers le milieu de 1999, le Gouvernement a entamé un exercice de consultation avec des ONGs pour la rédaction d'une nouvelle loi forestière, mais le processus s'est interrompu lorsqu'il a transpiré que, simultanément à l'élaboration plus ou moins ouverte du projet avec la participation de la société civile, le Ministère rédigeait sa propre version. C'est cette version qui a été présentée au Parlement, et ratifiée en dépit des objections généralisées et même de celles des anciens Ministres de l'Environnement et des Forêts. Peu après et dans la même période, une nouvelle loi a été passée, le Décret ministériel SK 677/1999 (révisé en 2001 comme SK 31/2001), qui détermine les démarches par lesquelles les communautés peuvent constituer des coopératives et obtenir l'affermage des forêts pendant 25 ans, sous réserve de l'approbation gouvernementale des plans d'aménagement locaux.
Bien que de nombreuses ONGs voient d'un oeil critique les progrès limités que représentent ces lois, d'autres les considèrent comme des pas importants vers la reconnaissance des droits communautaires sur les forêts. En fait, la lutte pour l'établissement légal de la gestion communautaire des forêts en Indonésie vient seulement de commencer.
Par Marcus Colchester, Forest Peoples Programme; courrier électronique: marcus@fppwrm.gn.apc.org