La destruction rapide des forêts philippines entraînée par le bûcheronnage, l'exploitation minière et l'invasion de colons sans terre poussés par les politiques officielles, a été officiellement reconnue vers la fin des années 80 en tant que problème requérant une solution politique. La nécessité de limiter et de réglementer le bûcheronnage, ainsi que de promouvoir des alternatives de gestion 43communautaire des forêts, a été acceptée par le gouvernement vers la fin de la décennie. En 1990, le gouvernement a approuvé un Plan directeur de développement forestier lequel supposait mettre en œuvre, à plus grande échelle, les initiatives communautaires préliminaires de gestion des forêts.
D'après ce plan, les communautés avaient droit à des propriétés forestières à bail, appartenant à l'Etat, sous forme de Contrats de gérance forestière, qui les autorisait à planter des arbres et à commercialiser les produits forestiers pendant une période de 25 ans. Au cours des premières étapes du processus mis en place, il a été exprimé avec préoccupation que les Contrats de gérance forestière ne tenaient pas compte des revendications non résolues concernant les terres indigènes, et que ceux-ci pourraient même être utilisés en vue de mettre fin aux droits autochtones. Des modifications ont été introduites à posteriori dans le but d'assurer aux communautés indigènes contractantes que les contrats en question n'auraient aucun effet sur leurs réclamations historiques.
Pendant les années 90, l'aide internationale a coulé à flots dans le secteur forestier en provenance des agences bilatérales et multilatérales. La Banque asiatique pour le développement a fourni un soutien fondamental aux projets de plantations d'arbres et la Banque mondiale a donné des fonds additionnels destinés au développement général du secteur forestier. Les deux programmes de crédit ont été modifiés afin d'inclure l'initiative de gérance forestière et, parallèlement, l'intérêt des communautés pour les plantations a été encouragé à travers des initiatives de "reforestation par contrat" à travers lesquelles les individus, les coopératives ou les communautés, pouvaient obtenir de l'aide technique et financière afin de développer des programmes de plantations d'arbres. Simultanément, l'Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID - United States Agency for International Development) a visé particulièrement la gestion forestière communautaire à travers deux grands Projets de gestion des ressources naturelles qui ont apporté des fonds spéciaux pour que le Département de l'énergie et des ressources naturelles puisse apporter des solutions à la population rurale pauvre. Quoique les peuples indigènes constituent 30% minimum de la population rurale pauvre habitant les forêts philippines, les dispositions les concernant n'ont pas été l'objet d'un traitement spécifique dans le cadre du programme général.
Malgré les bonnes intentions des donneurs, le programme de réforme forestière n'a pas été une grande réussite concernant les populations rurales pauvres en général, et les peuples indigènes en particulier. Les principaux bénéficiaires du programme ont été les sociétés chargées de semer et de développer les plantations. La reforestation par contrat a été moins utile aux marchés locaux que prévu et la plupart des programmes de reforestation par contrat qui se sont maintenus ont été les cultures d'arbres à grande échelle, destinés à l'approvisionnement de grandes usines de cellulose à papier, telle que PICOP. Au nord de Mindanao, la reforestation par contrat a entraîné l'établissement de colons sur des terres indigènes provoquant de sérieux conflits.
Les ONG et les porte-parole indigènes signalent d'autres tristes résultats du programme de réforme forestière. L'un d'eux a été que le secteur est devenu quasi totalement dépendant du soutien des donneurs et manque de financement et de soutien politique de la part du gouvernement central. Le programme n'a donc pas pris racine dans le cadre des processus nationaux de réforme institutionnelle ou politique et les rapports entre la réforme financée par les fonds d'assistance et les instances politiques locales ont été faibles, voire inexistants. La gestion communautaire des forêts est ainsi devenue territoire exclusif des donneurs à l'intérieur de l'économie politique, toléré dans le but d'obtenir des devises étrangères plutôt que dans celui de promouvoir un développement durable. En conséquence, les communautés concernées se sont éloignées encore davantage des politiciens promoteurs de la réforme nationale et, au lieu d'avoir été investies de pouvoir et d'autonomie et d'être davantage concernées par les instances politiques nationales, elles se retrouvent accablées par la nouvelle bureaucratie associée à la gestion communautaire des forêts, développée massivement grâce au financement étranger. Le verdict général rendu par plusieurs ONG et partisans communautaires est que la réforme forestière a souffert de l'excès de flux de fonds du haut vers le bas. Le programme promu par les donneurs a essayé de développer une initiative à peine naissante de la société civile avant de concrétiser un changement institutionnel national réel. Le résultat a été un programme qui a embourbé le processus national de réforme et a réduit davantage le pouvoir et l'autonomie des peuples indigènes.
Par Marcus Colchester, Forest Peoples Programme; courrier électronique: marcus@fppwrm.gn.apc.org