Depuis la chute de la dictature de Suharto en 1998, une dure bataille a eu lieu au niveau national à propos de la reconnaissance des droits indigènes en Indonésie. L'Alianzi Masyarakat Adat Nusantara (AMAN - Alliance des peuples gouvernés par la tradition de l'archipel), est le mouvement qui revendique les droits des peuples indigènes sur leurs terres ainsi que le droit à un gouvernement autonome. Sur la base de la reconnaissance constitutionnelle de la adat (tradition), le mouvement cherche à rendre aux communautés le pouvoir perdu en faveur de l'Etat lors des réformes centralisatrices des années 1960 et 1970. Pak Nazarius, un Dayak de Kalimantan de l'Ouest et coordinateur de l'AMAN pour la région centrale, affirme que:
"Pendant l'époque coloniale, l'Indonésie a été colonisée mais les communautés ont conservé leur liberté. Lors de l'indépendance, le pays a obtenu sa liberté, mais les communautés ont été colonisées. Afin de ne pas suivre les pas de la dictature, la liberté doit être accordée aux communautés traditionnelles dans le cadre de la réforme nationale."
L'AMAN estime qu'entre 60 et 120 millions de personnes (dans un total de 200 millions d'habitants) vivent dans des communautés encore régies par le droit coutumier. Ces personnes revendiquent des droits sur tout ou presque tout le territoire forestier national mais doivent faire face à de sérieux obstacles. D'après les lois forestières nationales, environ 70% du territoire indonésien a été classé Forêts de l'Etat dans le cadre de la juridiction du Département forestier. La plupart de ces forêts ont été, par la suite, affermées à des sociétés d'exploitation forestière et de plantations, lesquelles, arguant une gestion forestière théoriquement durable, ont détruit les forêts du pays à un rythme de 1,2 millions d'hectares par an au cours des dernières décennies. Ce taux est passé à 3 millions d'hectares par an, d'après l'organisation environnementale nationale WALHI, en grande partie afin de satisfaire la demande insatiable des sociétés nationales de bois contreplaqué et de cellulose, dont la consommation peut atteindre 70 millions de mètres cubes de bois par an (un total qui dépasse le triple de l'estimation officielle -déjà plutôt optimiste- de 20 millions de mètres cubes de production annuelle de bois durable).
Dans les forêts de l'Etat, tous les droits de propriété ont été annulés par définition même si les communautés traditionnelles peuvent collecter certains produits forestiers dans la mesure où les sociétés locales le permettent. Et, en dehors des forêts de l'Etat, les droits collectifs sur les terres sont dans les faits également refusés. Dans ce contexte, l'AMAN fait partie d'un large mouvement de la société civile qui réclame des réformes radicales concernant la gestion des ressources naturelles et ce, suivant les principes constitutionnels qui reconnaissent que les systèmes juridictionnels actuels régissant les ressources naturelles et la propriété des terres sont la cause principale de l'injustice sociale, les conflits et le pillage environnemental.
Les politiques nationales de développement ont démembré les territoires indigènes, d'un point de vue physique, mais aussi juridictionnel, en superposant différentes juridictions administratives. Malgré cela, les habitants veulent que l'autorité sur leurs terres leur soit rendue. Pak Nazarius l'exprime ainsi:
"Dans notre communauté, nous pensons avoir des droits sur nos terres ainsi que sur les ressources naturelles qui se trouvent au-dessus ou au-dessous de celles-ci. Tout ce qu'elles contiennent jusqu'au ciel nous appartient. Plusieurs lois établissent que nos forêts sont des forêts de l'Etat ainsi que les minéraux qu'elles contiennent. Mais nous ne le voyons pas ainsi. J'ai des poils sur mes bras, sur ma peau. Ils sont à moi. Ils sont à moi également la chair et les os qui sont au-dessous. Ils m'appartiennent. Personne ne peut me les prendre. Mais la politique a séparé ces choses-là, et elle nous a ainsi coupé en morceaux. Nous voulons que la terre nous soit rendue intégralement."
Les demandes des indigènes ont été en quelque sorte favorisées par la décentralisation administrative établie par la loi de 1999. Ces réformes ont renforcé le pouvoir détenu par la classe politique locale, ce qui a, d'une part, intensifié la pression exercée sur les ressources naturelles afin de créer des revenus avec lesquels payer les dépenses administratives locales et remplir les poches des fonctionnaires et de leurs complices locaux, mais d'autre part, rapproché le gouvernement des communautés indigènes. Au sud de Sulawesi, grâce à la persévérance des indigènes, des lois locales ont été promues afin de reconnaître l'autorité des "lembang", les institutions territoriales nationales du peuple Toraja. A l'ouest de Java, un décret départemental reconnaît maintenant les droits territoriaux des 52 hameaux Baduy. Ces réformes laissent entrevoir un grand changement dans les relations de l'Etat avec les peuples indigènes et peuvent avoir des résultats très dissemblables, en bien ou en mal, dans près de 360 districts ayant aujourd'hui en Indonésie un gouvernement autonome.
Par: Marcus Colchester, Forest Peoples Programme, courrier électronique: marcus@fppwrm.gn.apc.org