En décembre 2000 la compagnie Pluspetrol basée en Argentine a obtenu la concession pour l'extraction de gaz naturel dans le bassin du Camisea, au Sud-est du Pérou. Cependant, l'intention de Pluspetrol d'effectuer des opérations séismiques et de forage à l'intérieur de la réserve des Nahua/Kugapakori a soulevé une controverse, en raison des répercussions potentielles que subiraient les habitants indigènes, qui résident dans cette zone dans un état d'isolement volontaire ou commencent seulement à être en interaction directe avec la société nationale. Le Bloc 88 se superpose à la réserve des Nahua/Kugapakori, établie par l'Etat en 1990 pour protéger les groupes indigènes Nahua et Kugapakori (également connus sous le nom de Nanti) contre les dangers du contact avec la société nationale. Le groupe dirigé par Pluspetrol inclut également la compagnie nord-américaine Hunt Oil et la société coréenne SK.
Les critiques visent les conséquences physiques du projet, susceptibles d'être potentiellement dévastatrices: l'accroissement du nombre de personnes étrangères à la réserve augmentera la pression sur ses ressources et exposera ses habitants à des maladies contre lesquelles leur résistance est faible ou nulle. Ce qui est également grave, c'est que le projet viole des droits des peuples indigènes accordés au niveau international, et porte atteinte au droit, actuellement exercé par ces peuples qui vivent dans un état d'isolement volontaire, de refuser le contact avec l'extérieur. Le projet se trouve à l'heure actuelle dans la phase cruciale; en effet, l'appui des banques nord-américaines, qui l'évaluent en ce moment, est essentiel pour sa poursuite, mais des militants sont en train de faire pression sur les banques pour qu'elles refusent tout financement tant que le projet n'aura pas pris en compte les droits des peuples indigènes à l'intérieur de la réserve.
La réserve des Nahua/Kugapakori s'étend sur une superficie de 443 887 hectares, et c'est le foyer ancestral des peuples Nahua, Nanti et Matsigenka. La plupart de ces groupes sont à l'étape initiale d'interaction directe avec la société nationale péruvienne. Ces groupes en interaction initiale (à l'exception des Nahua) ne parlent pas l'espagnol, n'ont que des contacts sporadiques avec certaines autres communautés indigènes qui habitent en dehors des limites de la réserve, et sont très vulnérables aux maladies introduites et à l'exploitation par des personnes venues de l'extérieur. Simultanément, certains Nanti et d'autres habitants d'origine ethnique incertaine ont choisi d'éviter tout contact direct avec la société nationale et vivent donc dans un isolement volontaire. En choisissant volontairement l'isolement, ces peuples exercent leur droit de dire non au contact direct avec la société nationale. Ces groupes sont encore plus vulnérables aux maladies introduites, et ils habitent très loin, aux sources des fleuves Timpia, Serjali et Paquiria. Or, cette région inclut l'aire où les essais séismiques sont effectués. La fédération indigène péruvienne FENAMAD affirme que "le contact de ces peuples avec des personnes étrangères à la réserve menacerait très gravement leurs droits fondamentaux à la santé, l'identité culturelle, le bien-être et la propriété foncière... et pourrait conduire à leur extinction en tant qu'individus et que communautés indigènes". D'après les estimations, la population totale de la réserve serait de 1 000 à 2 000 personnes.
Pluspetrol a reconnu que des rencontres involontaires pourraient avoir lieu avec les peuples qui vivent dans l'isolement volontaire dans l'aire des essais séismiques, aux sources des fleuves Paquiria et Serjali. Les essais dans la réserve ont commencé en mai 2002, et Pluspetrol a assuré à ses critiques que "ces contacts ne seront pas encouragés", que la zone des essais a été réduite dans le but d'éviter de telles rencontres, et que des plans de contingence ont été mis en place. Ces plans consistent dans l'envoi de groupes d'indigènes locaux avant l'arrivée des groupes chargés des essais séismiques, et dans la vaccination de tous les travailleurs contre les maladies potentiellement contagieuses. Au fait, ce qui se passe sur le terrain n'est pas clair du tout. Certains travailleurs locaux de Pluspetrol disent qu'il y a eu des rapports d'observation mais aucune rencontre directe "d'Indiens nus ou non contactés".
L'étude indépendante d'évaluation environnementale (EA), demandée par les fédérations indigènes nationales et locales COMARU et AIDESEP, a conclu qu'il "n'est pas possible d'assumer que le plan [de contingence] évitera effectivement des répercussions préjudiciables, telles que la diffusion de maladies introduites, qui pourraient s'avérer fatales pour les populations isolées". De fait, lorsque la compagnie Shell Oil a effectué des explorations préliminaires dans la région dans les années 1980, plus de la moitié de la population Nahua est morte par suite des maladies respiratoires que les forestiers leur ont transmises. Pluspetrol a répondu en affirmant qu'ils sont en train d'établir un programme communautaire indépendant de contrôle environnemental, quoique trois mois après le début des travaux dans la réserve. Les rapports sur l'observation d'indigènes non contactés, que Pluspetrol a niés à Lima, et dont ses représentants ont dit qu'ils concernaient des populations "traditionnelles Matsigenka" du cours inférieur du Camisea (ce qui n'explique ni la nudité de ces indigènes, ni leur présence dans la zone des séismes) confirment la conclusion de l'étude indépendante: "quelles que soient les précautions que l'on prenne, la seule politique efficace est d'éviter de travailler dans des zones dont on sait qu'elles sont habitées par ces groupes". Sans compter les risques physiques de rencontres involontaires, l'activité dans des zones que l'on sait habitées par ces groupes porte atteinte à leur droit fondamental, qu'ils exercent à l'heure actuelle, d'éviter tout contact direct avec la société nationale.
L'EA de Pluspetrol reconnaît que les habitants des réserves seront touchés de manière directe et indirecte par le projet, qui inclut le forage de trois puits et l'exploration séismique sur une aire de plus de 800 km2 de forêt tropicale à l'intérieur de la réserve. Mais la révision indépendante de l'EA identifie de nombreuses menaces, telles que l'accroissement de la colonisation, la réduction de la base des ressources et une détérioration de la santé, que l'EA ne mentionne pas et contre lesquelles il n'y a donc pas de mesures concrètes prévues. L'Article 7 de la Convention 169 de l'OIT concerne les droits des peuples indigènes à participer dans la formulation, la mise en place et l'évaluation de projets de développement qui puissent les affecter. L'assurance d'une consultation appropriée n'est pas seulement une responsabilité de la compagnie: c'est également une obligation de l'Etat péruvien, qui a adhéré à la Convention 169 de l'OIT.
Bien que Pluspetrol ait rendu quelques visites aux établissements des Nanti, des Nahua et des Matsigenka, aucun détail n'a été révélé sur ces démarches, ni sur l'identification ou la création de méthodologies de contact avec des groupes qui, en général, n'ont aucune connaissance pratique de l'espagnol, et encore moins la possibilité de comprendre ce qu'est une explosion séismique. Les membres d'un des groupes Matsigenka qui habite entre les fleuves Paquiria et Camisea affirment qu'ils ont été persuadés de quitter leurs foyers par les groupes d'avancée de Pluspetrol. Les anciens habitants de Shiateni manifestent qu'ils ont déménagé lorsqu'un de ces groupes leur a dit qu'ils seraient arrêtés par l'armée ou décimés par les maladies s'ils ne s'installaient pas ailleurs. Tout ceci a été nié par Pluspetrol, qui affirme que ses groupes d'avancée ne se sont mis en contact avec ces personnes que pour les informer sur les projets de l'entreprise. Celle-ci soutient que la réinstallation a été le résultat d'une décision indépendante prise dans le cadre du mouvement saisonnier traditionnel. On peut en conclure que ceci est un exemple de la difficulté à communiquer les impacts de la prospection de gaz à des peuples qui ne comprennent presque pas l'espagnol, et encore moins des concepts aussi étrangers que celui de propriété, d'argent ou d'explosions séismiques. Il n'est pas clair encore s'il s'agit ou non d'un cas de déménagement forcé. Par contre, ce qui est tout à fait clair est que ces visites hâtives, non systématiques et peu transparentes ont été faites dans le but de mettre en oeuvre le projet en reconnaissant le moins possible les droits des peuples indigènes sur la réserve.
Les travaux dans la réserve ont commencé en mai 2002, mais jusqu'à présent les rapports avec ses habitants ont été dominés par les pressions des chronogrammes de travail, plutôt que par le respect de leurs droits reconnus au plan international, ou de leur santé et leur sécurité. Les problèmes les plus inquiétants sont les lacunes de l'EA à propos des impacts indirects sur les habitants de la réserve, le risque réel de rencontres potentiellement fatales des groupes d'exploration et des habitants volontairement isolés, et le non-respect, autant de la part de Pluspetrol que de l'Etat, de leur obligation légale d'effectuer une consultation, tel que l'établit explicitement la Convention 169 de l'OIT. Ce qui semble plus inquiétant encore, c'est que les activités du projet violent le droit des peuples vivant dans l'isolement volontaire de refuser le contact direct avec la société nationale. Au vu de tous ces défauts, les groupes militants devraient appuyer les conclusions de l'étude indépendante, qui demande au gouvernement du Pérou de "protéger ces populations en interdisant les activités industrielles à l'intérieur de la réserve". Ils devraient également presser les banques des USA à refuser des propositions de financement tant que les droits fondamentaux des habitants de la réserve n'auront pas été contemplés par le consortium du Camisea. La décision des banques est prévue pour décembre 2002.
Par: Conrad Feather, Shinai Serjali, courrier électronique: conrad@serjali.org. Des informations complémentaires sur la réserve Nahua/Kugapakori et ses peuples indigènes sont à trouver dans les sites web: http://www.serjali.org et http://www.onr.com/cabeceras/.