Cameroun: les Bagyeli essaient de se faire entendre

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Depuis le XIXe siècle, les droits territauriaux des habitants des forêts du Cameroun n'ont jamais été pris en compte par les gouvernants lors de la prise de décisions. Toutes les terres boisées, enregistrées comme vacantes et sans maîtres, sont devenues propriété de l'Etat. Elles ont souvent été ouvertes à l'exploitation forestière, interdisant ainsi l'accès aux Bagyeli, Baka, et autres communautés de chasseurs-cueilleurs dénommées "Pygmées", dont la présence dans le Sud de Cameroun est antérieure à l'Etat colonial.

Quand la France est devenue la première puissance coloniale, au début du siècle dernier, toutes les terres camerounaises devinrent virtuellement propriété de l'Etat, même si presque toutes étaient occupées suivant des principes coutumiers. Ce système a survécu jusqu'à aujourd'hui -seulement 2,3% des terres camerounaises ont été régularisées moyennant des titres de propriété depuis 1974- et la plupart des terres boisées situées en dehors des aires protégées restent extrêmement vulnérables aux différents types d'exploitations externes. On demande rarement l'avis des populations locales sur la gestion de ces terres et les populations indigènes sont marginalisées lors des rares consultations publiques réalisées à ce sujet. Actuellement, dans le Département Océanique du Cameroun, les communautés locales commencent à faire face aux multiples impacts causés par le nouvel oléoduc qui traverse leurs terres. Celui-ci permet l'exportation de pétrole des champs pétrolifères au Sud du Tchad via une station de pompage côtière près de Kribi, au Cameroun.

L'installation du très critiqué oléoduc Tchad-Cameroun, soutenu par la Banque mondiale, qui traverse la région forestière du Sud-Est camerounais, a causé des pertes de terres et de forêts en détriment de plusieurs communautés. Il existe aujourd'hui de nombreux documents qui prouvent les pertes des communautés indigènes Bagyeli dans deux zones géographiques différentes. D'une part, dans la zone de l'oléoduc, le projet a impliqué le déboisement total d'une frange de 30 mètres de large qui traverse des zones de chasse, de cueillette et de culture, ce qui entraîne la perte de ces terres ainsi que l'interdiction d'accès aux ressources sur lesquelles reposaient les moyens de vie traditionnels des Bagyeli. Le programme de compensation de l'oléoduc a aggravé ces pertes, étant donné que certains Bagyeli ont été expulsés de leurs terres par d'autres habitants locaux qui revendiquaient leurs terres de cultures agricoles actuellement occupées par l'oléoduc. Pas un seul Bagyeli n'a reçu de compensation individuelle pour les pertes causées par la construction de l'oléoduc.

D'autre part, de nouvelles restrictions ont été imposées sur la chasse et sur l'accès aux forêts des zones traditionnelles Bagyeli près de la frontière avec la Guinée Equatoriale lors de l'officialisation du Parc national de Campo Ma'an. La protection de cette large zone, traversée par un chemin emprunté pour l'exportation de bois, fait partie de la compensation environnementale de l'oléoduc. Mais ce nouveau statut de parc national veut dire que les communautés Bagyeli de chasseurs-cueilleurs qui habitent cette région depuis des temps immémoriaux peuvent être poursuivies si elles continuent à profiter de la forêt, leur seul moyen de vie. Ces exemples illustrent l'indifférence totale des concepteurs des plans de l'oléoduc face aux droits territoriaux et aux moyens de vie des habitants locaux.

Les Bagyeli ne possèdent pas de documents d'identité -requis par la loi camerounaise-, souffrent une sévère discrimination sociale, et n'ont presque pas d'accès aux services de santé et d'éducation. La plupart ne possèdent pas de terres de culture propres et travaillent celles de leurs voisins mieux lotis en échange de nourriture. La marginalisation sociale des Bagyeli et la souffrance croissante dont ils sont victimes depuis le projet de construction de l'oléoduc les a menés à contacter des ONG nationales et internationales afin de développer des stratégies communautaires qui leur permettent de réaffirmer leurs droits face aux autorités de conservation. Celles-ci ont déjà initié un dialogue avec des représentants des Bagyeli des alentours de Campo, de même que des représentants du gouvernement local et de l'oléoduc, qui avaient précédemment refusé de demander l'avis des Bagyeli.

Soutenus par le Forest Peoples Programme (FPP) ainsi que par deux ONG locales (Planet Survey et le Centre pour l'Environnement et le Développement - CED), les Bagyeli commencent à se procurer des documents d'identité et à dialoguer régulièrement avec des fonctionnaires du gouvernement et des représentants de l'oléoduc, ces derniers ayant accepté de se réunir avec eux afin de négocier des mesures de compensation régionales. Le FPP et ses partenaires vont également soutenir les Bagyeli pour qu'ils puissent recueillir leurs propres informations en vue de réaliser des plans communautaires d'utilisation du sol en profitant de la technologie GPS (système de positionnement global) et en travaillant en collaboration avec les communautés majoritaires Bantu. Les plans définitifs seront réalisés pour eux par le CED. Ils serviront de base aux futurs dialogues entre les communautés Bagyeli et Bantu, les administrateurs des aires protégées, les organismes gouvernementaux et les autorités de l'oléoduc, programmés en vue d'assurer aux Bagyeli des droits communautaires sur la terre.

Par: John Nelson, Forest Peoples Programme, courrier électronique: johnnelson@blueyonder.co.uk