Guatemala : La Conservation Perpétue le Saccage des Forêts

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Sierra Lacandón, Guatemala. Foto: Santiago Navarro.

La création de la Réserve de biosphère Maya légitime un modèle destructeur : projets d’infrastructures et d’énergie combinés à des aires protégées « dépeuplées ». Alors que les ONG de conservation grossissent leurs portefeuilles de projets, les communautés paysannes et autochtones sont déplacées ou contraintes à dépendre des ONG et du marché.

 

Alléguant le combat contre les changements climatiques et la protection des forêts, un conglomérat d’ONG internationales, notamment The Nature Conservancy, Wildlife Conservation Society, Rainforest Alliance et le Fonds mondial pour la nature (WWF), leurs associés locaux développent un projet dans le nord du Petén, au Guatemala avec le soutien financier d’institutions comme l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Ce projet vise à générer des profits au moyen de la vente systématique des forêts.

La création de la Réserve de biosphère Maya (RBM) en 1990, laquelle couvre 70 pour cent du département du Petén, a permis de créer les conditions pour l’intégration de ce territoire dans les plans nationaux de « développement durable », basés sur l’exportation de marchandises aux côtés de projets de conservation. Ces plans exacerbent une situation apparemment contradictoire : le Plan Mesoamérica d’infrastructures et d’intégration économique et énergétique accompagné de projets extractifs et sa « version verte », soit les aires protégées du Corridor biologique mésoaméricain. Les deux sont des modèles de gestion territoriale financés par la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement (BID).

Ces modèles qui vantent des projets de « gestion forestière durable » à l’intérieur de la réserve en prétendant qu’ils constituent des exemples réussis de conservation cherchent à transformer le cadre réglementaire guatémaltèque pour qu’il inclue une nouvelle marchandise d’exportation : les bons de carbone. Ces bons émergent des soi-disant projets de compensation — lesquels prétendent compenser la contamination ou destruction d’un lieu avec un projet de protection d’une aire « similaire » ou de « recréation » de ce qui a été détruit. En plus de permettre la poursuite à perpétuité de n’importe quelle activité industrielle à la condition que la destruction ainsi causée soit « compensée », elle génère un double accaparement de terres : celui de l’aire d’activité industrielle et celui de l’aire de « compensation. » Dans un contexte de militarisation croissante, ces plans prétendent poursuivre les déplacements forcés de populations paysannes et autochtones établies depuis des décennies dans le Petén.

« Dans toutes les aires protégées, tous les services de base sont restreints : santé, éducation, alimentation, infrastructures, » nous explique un paysan qui habite à l’intérieur de la zone délimitée du parc national Laguna del Tigre (PNLT), lequel se trouve également à l’intérieur de la réserve. « La destruction de la nature par des secteurs entrepreneuriaux puissants dans ce qu’ils appellent aire protégée nous préoccupe. Après nous avoir confisqué nos terres, ils les donnent à d’autres gens qui peuvent légalement être une entreprise. Nous nous indignons qu’ils nous harcèlent constamment avec toutes sortes d’exigences, mais qu’ils permettent des projets pétroliers et de palmier (à huile) dans le PNLT. Pourquoi ont-ils le droit d’être ici ? Si ce sont eux qui contaminent la nature », demande un paysan d’une communauté criminalisée par le Conseil national des aires protégées (CONAP) et les ONG de conservation, avec un discours qui accuse les paysans d’être responsables de la déforestation.

Déplacements : politique d’État

Le vendredi 2 juin 2017, 111 familles paysannes et autochtones se sont enfuies de leurs terres devant la menace de 2 000 effectifs de la police nationale civile et de l’armée qui se dirigeaient vers leur communauté, connue jusqu’alors comme Laguna Larga, dans l’unique but de la réduire en cendres. Jusqu’à maintenant, 450 personnes survivent dans un contexte de crise humanitaire sur la frontière entre l’État de Campeche, Mexique, et le département de Petén, Guatemala. Le cas de Laguna Larga et d’autres déplacements forcés survenus dans les aires protégées témoignent de la violence exercée par l’État guatémaltèque pour « résoudre » les conflits territoriaux dans le Petén. L’objectif principal est d’interdire la présence de communautés qui n’adoptent pas le modèle unique permis : celui des marchands des forêts dans les terres du nord du Guatemala.

Le chemin de la privatisation de la « conservation »

Depuis la fondation de la Réserve, les institutions officielles chargées d’appliquer la loi sur les aires protégées ont fonctionné avec des budgets réduits, dans un contexte qui a favorisé la création de nombreuses ONG de conservation pour combler ce vide institutionnel. « On peut considérer que le type de conservation que pratiquent ces organisations respecte le modèle néolibéral en raison de leur vision économique des aires protégées. Si l’État veut conserver, il doit payer. On savait que l’État n’aurait pas la capacité technique pour gérer et administrer ces zones puisque celles-ci avaient toujours été pensées pour que leur gestion soit transférée à des ONG de conservation. Une des premières à voir le jour, la Fundación para el Ecodesarrollo y la Conservación (Fondation pour l’écodéveloppement et la conservation), appartient à Marcos Cerezo, fils de Vinicio Cerezo, qui était le président du Guatemala lorsque la loi sur les aires protégées a été adoptée. Cette ONG gère des aires géostratégiques riches en gaz naturel et pétrole, » dénonce Rocío García, anthropologue de l’Université San Carlos, en signalant le transfert irrégulier de la gestion des aires protégées aux investisseurs privés, lesquels s’accordent également le pouvoir d’administrer des ressources de l’État dans l’avenir.

Le cas du Guatemala, explique García, est un exemple clair de la corrélation entre les politiques environnementales internationales basées sur la conservation selon le modèle des aires protégées et celles de planification territoriale du gouvernement guatémaltèque.

« Le développement durable a été imbriqué dans les politiques de planification territoriale au Guatemala durant le mandat du gouvernement d’Óscar Berger (2004 – 2008), lorsque la politique de développement rural territorial a été mise en œuvre. Celle-ci a été préparée selon une méthodologie conçue par la BID dans le but d’insérer les territoires dans les marchés à travers des demandes. » L’objectif consiste à ce que le paysan cesse d’être lié à la terre pour sa production agricole, principalement pour l’autoconsommation, pour qu’il s’intègre à la production pour le marché. Pour ce faire, on encourage les États-nations à réorganiser l’institutionnalité locale pour imposer des modèles destinés à s’insérer dans le marché mondial.

ONG : une relation de dépendance

Après la signature des accords de paix entre l’État du Guatemala et l’Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca (Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque) qui ont mis fin à 36 ans de conflit armé interne, une réforme agraire orientée par la Banque mondiale a été adoptée. Cette réforme interdit l’attribution des terres aux communautés paysannes, même si dans de nombreux cas celles-ci possédaient les terres qu’elles avaient été forcées d’abandonner durant la guerre.

En même temps, dans toute la réserve, le gouvernement guatémaltèque a renforcé l’interdiction d’enregistrement de propriétés foncières et, au moyen du financement de l’USAID, créa la catégorie de « concession forestière » dans différentes zones destinées à la « gestion forestière durable. » Même si 12 concessions ont initialement été accordées, celles-ci sont en exploitation dans seulement neuf communautés. (1) En même temps, les entreprises forestières Batel Comercial Ltd. et Gibor S.A ont obtenu deux concessions industrielles sur une superficie totale de 485 200 hectares.

« Dans chaque communauté, elle [USAID] a assigné une ONG chargée de la conseiller pour son organisation, la gestion de fonds et également son inscription légale. Les ONG devaient effectuer un diagnostic du territoire pour établir son potentiel forestier et en produits non ligneux, car c’est tout ce dont elles disposent pour travailler, » explique Rosa Maria Chan, ancienne fonctionnaire guatémaltèque.

En 2001, l’USAID a canalisé son assistance à travers le projet BIOFOR, mis en œuvre par l’ONG Chemonics International, laquelle a implanté une vision entrepreneuriale pour la recherche de nouveaux marchés niches et l’augmentation de la production forestière dans les concessions. Même si le discours officiel parle du respect de l’autodétermination des communautés qui exploitent les concessions forestières, une analyse du CIFOR (Centro para la Investigación Forestal Internacional) datant de 2007, met en évidence la formule verticale et paternaliste de la relation entre les ONG et la population du nord du Petén.

« Les ONG ont joué un rôle de premier plan dans le processus et en plus de l’accompagner et de le faciliter, elles sont devenues des entreprises qui prêtent des services… la relation entre les communautés et les ONG a été déséquilibrée depuis le début, car les ONG géraient et administraient les fonds sans encourager le renforcement institutionnel communautaire et l’autogestion… les ONG ont favorisé des relations de dépendance pour justifier leur existence et continuer de recevoir l’appui financier des donateurs, » souligne l’analyse de contexte sur l’Asociación de Comunidades Forestales de Petén (ACOFOP, Association des communautés forestières du Petén), laquelle regroupe les organisations qui exploitent les concessions communautaires forestières.

Selon l’analyse du CIFOR, de 1989 à 2003, les investissements directs de l’USAID, de la BID et de la KfW (banque de développement allemande) dans les projets à l’intérieur de la réserve ont atteint 92 millions de dollars avec une contrepartie du gouvernement du Guatemala. « Seulement une modeste partie du montant total investi a directement atteint les communautés concessionnaires et leurs organisations. Ces ressources ont seulement accru la dépendance entre les concessions forestières et les ONG, » précise le rapport.

Abattre pour « conserver »

Selon les données de l’ONG Rainforest Alliance, de 2007 à 2017, les concessions forestières ont généré 55 millions de dollars pour la commercialisation vers les marchés européen et étasunien du bois, du xate, du piment, du ramón et des services touristiques en plus de créer 26 000 emplois. Ces statistiques proviennent du projet Clima, Naturaleza y Comunidades en Guatemala (CNCG), parrainé par l’USAID, lequel a pris fin en février 2018. Ce projet a obtenu des investissements de 25 millions de dollars de 2013 à 2018 et est considéré une partie de la phase préparatoire du projet Guatecarbón, la version locale du mécanisme REDD+ pour le pays centraméricain.

Le CNCG fait partie de la stratégie mondiale 2012-2015 relative aux changements climatiques et au développement de l’USAID. Il a été exécuté par Rainforest Alliance, en compagnie de son associé local la Fundación Defensores de la Naturaleza (coadministrateurs du parc national Sierra Lacandón), de l’Université del Valle de Guatemala, de l’Asociación de Exportadores de Guatemala, de Nature Conservancy et du Fonds mondial pour la nature (WWF). Pour l’association de communautés forestières du Petén, les résultats positifs sont évidents en raison des revenus millionnaires obtenus avec la vente de produits forestiers. Cependant, même le plan directeur en vigueur de la réserve mentionne « le danger toujours latent que les activités de coupe éliminent des éléments essentiels de l’habitat, avec la perte consécutive de populations animales. » Malgré ces mises en garde, la stratégie mondiale de changements climatiques de l’USAID ressemble plus à une stratégie de vente qui s’harmonise pleinement avec les objectifs développés par la Wildlife Conservation Society dans le plan directeur élaboré par l’ONG.

Ce plan prévoit qu’en 2021, les aires forestières de la zone d’usage multiple et ayant un potentiel productif qui ne font pas l’objet d’une concession « devront avoir un type d’exploitation de produits forestiers pour renforcer leur conservation, » ce qui signifie notamment prioriser l’affectation du Triángulo de Candelaria, la région où se trouvent la communauté de Laguna Larga et trois autres villages constamment à risque de se faire expulser.

Malgré les revenus obtenus par les concessions, une vérification interne de l’USAID publiée en 2016 met en évidence des problèmes profonds dans la planification et la mise en œuvre du projet CNCG. Selon le document, Rainforest Alliance a fourni des informations erronées à différentes rubriques.

Le problème principal observé dans le projet CNCG est que « Rainforest Alliance aurait dû préparer un plan de durabilité dès le départ, en expliquant comment les organisations et les entreprises qui reçoivent l’appui du programme deviendraient autonomes à la fin des activités du programme. Cependant, deux ans après la mise en œuvre, il n’existe toujours aucun plan. »

En fait, les aires protégées créées au Guatemala ont servi à reverdir le capitalisme au moyen de politiques qui réorganisent le territoire et la propriété des terres boisées. Les communautés qui ont été les gardiennes et protectrices de ces forêts sont expulsées de leurs terres et leurs droits et formes de vie sont niés. D’autre part, les ONG de conservation ont engraissé leurs portefeuilles de projets en appuyant et en intensifiant un modèle de développement qui ne profite qu’au marché.

Le présent article fait partie du rapport « Conservación perpetúa saqueo de los bosques en Guatemala ». On peut accéder à la version espagnole de ce rapport ici et à la version anglaise ici.

Aldo Santiago, editorial@avispa.org
Avispa Midia, https://avispa.org/portada/

(1) Il existe deux types de concessions forestières : communautaires et industrielles. Pour obtenir une concession forestière, les communautés doivent suivre une procédure juridique dans laquelle la communauté ne peut pas être un sujet de droit. Seule une organisation juridiquement inscrite peut être le sujet de cette procédure. En d’autres mots, aucune communauté organisée selon ses propres termes ne peut présenter une demande de concession forestière. La communauté doit plutôt suivre une procédure juridique complexe et compter sur l’appui et les conseils d’ONG pour obtenir la concession. Les concessions forestières établissent un contrat de jusqu’à 25 ans entre l’État guatémaltèque et une organisation communautaire à laquelle sont accordés les droits d’usage, l’accès, la gestion et l’extraction de ressources renouvelables ligneuses et non ligneuses, en plus de projets touristiques. Dans ces contrats, les droits de propriété reviennent à l’État et excluent la possibilité de vente ou de transfert des droits de concession.