Depuis qu’il est devenu un parc national en 1993, Mount Elgon a été le théâtre de graves conflits territoriaux. Les paysans ont été expulsés du parc en 1993, puis en 2002. La zone environnante a une forte densité de population et les agriculteurs n’ont d’autre choix que de retourner dans le parc pour faire leurs plantations. Il y a eu des éclats de violence entre le service ougandais responsable de l’administration du parc (UWA) et les paysans qui essaient de gagner leur vie. Ces derniers disent que les fonctionnaires de l’UWA les ont menacés, ont tiré sur eux et les ont soumis à des abus sexuels. Plusieurs personnes ont été tuées.
Un plan de plantation d’arbres pour compenser des émissions, dirigé par la fondation néerlandaise et l’UWA, vient compliquer encore la situation. La fondation FACE a commencé en 1994à planter des arbres autour des limites du parc national. Les arbres sont censés piéger du carbone et la Carbon Neutral Company vend les crédits issus de Mount Elgon depuis 2002. (La fondation FACE et la Carbon Neutral Company partagent un même directeur, Denis Slieker). En ce moment, la Carbon Neutral Company ne vend pas de crédits et l’UWA-FACE n’élargit pas la surface plantée d’arbres (environ 8 000 hectares) à cause des disputes.
Les 25 000 hectares du projet UWA-FACE ont été certifiés par le Forest Stewardship Council en 2002. En avril 2007, la société de certification du FSC, SGS Qualifor, a visité Mount Elgon pour réévaluer le projet de plantation d’arbres. Après l’arrivée des conseillers de la SGS, l’UWA leur a demandé de certifier tout le parc national. Du coup, la zone à inspecter est passée de 25 000 hectares à 112 100 hectares. Les inspecteurs ne se sont pas laissés démonter pour si peu et ils ont inspecté tout le parc en trois jours.
Au cours de cette évaluation, la SGS a relevé trois situations qui requéraient des actions correctives. Pour respecter les normes du FSC, le certificat ne serait délivré que lorsque ces mesures auraient été mises en œuvre. Néanmoins, la SGS a accordé une extension de six mois du certificat antérieur. Après une « visite de clôture » faite en août 2007par un inspecteur de la SGS qui n’a pas visité les lieux ni parlé avec les paysans, le certificat a été délivré.
Accreditation Services International (ASI), filiale du FSC, est responsable de vérifier que les entreprises de certification respectent les normes du FSC. Les représentants d’ASI étaient eux aussi en Ouganda en avril 2007, pour l’inspection annuelle de la SGS. ASI a rapporté que la certification de la SGS avait été fondée sur l’espoir d’améliorations futures, plutôt que sur la réalité actuelle du parc national ; elle a commenté que « des demandes d’actions correctives importantes ont été classées sur la base de documents et de procédures à mettre en place plutôt que sur les résultats sur le terrain », et que « il n’est pas évident que les conditions du FSC pour la certification aient été remplies ».
Il s’agit de la quatrième fois que l’ASI remarque que la SGS ne respecte pas les normes du FSC : « Cette non-conformité est récurrente, et elle a déjà été signalée à l’occasion des vérifications sur le terrain réalisées par l’ASI en Russie, en Pologne et en Guyana ».
La SGS est responsable d’une série de certifications controversées. Comme le WRM l’a signalé en 2006, cette situation s’est présentée dans les cas de Mondi en Afrique du Sud et au Swaziland, de Norfor en Espagne (cette entreprise fait l’objet aujourd’hui d’une plainte formelle de l’ONG espagnole Asociacion Pola Defensa da Ria), de V&M Florestal au Brésil (depuis, le certificat a été annulé après que la V&M a tué un paysan), de Smurfit Carton en Colombie, d’EUFORES et COFOSA en Uruguay, et d’un autre projet de la fondation FACE, FACE PROFAFOR, en Équateur. La SGS a certifié également Barama, filiale guyanaise de l’entreprise forestière malaise Samling. Dans ce dernier cas, le certificat a été annulé lorsqu’une inspection de l’ASI a révélé, en novembre 2006, que la SGS l’avait délivré sans une « évaluation appropriée des exigences du FSC en matière de certification ».
Ayant découvert qu’un des organes de certification du FSC omet systématiquement d’appliquer les normes de ce dernier, la seule réaction raisonnable aurait été de suspendre la SGS. Or, l’ASI s’est contenté de demander à cette société de « prendre les mesures nécessaires pour rectifier la non-conformité détectée ». Elle avait fait la même chose un an plus tôt, après avoir inspecté la certification de la Direction régionale des forêts domaniales de Bialystok, en Pologne. À Mount Elgon, l’ASI a constaté que la SGS n’avait pris aucune sorte de mesure, ni bonne ni mauvaise.
Quand les consultants de la SGS visitent les villages autour de Mount Elgon, ils sont accompagnés de fonctionnaires de l’UWA ; il n’est donc pas étonnant que les villageois se montrent peu disposés à parler des violations des droits de l’homme ou des abus sexuels commis par les gardes de l’UWA. Dans le résumé public de l’évaluation de la situation à Mount Elgon, la SGS reconnaît qu’il y a des disputes d’ordre territorial, et que des personnes ont été tuées. Or, le critère 2.3 du FSC dit : « En principe, l’existence de conflits d’une certaine ampleur, impliquant un nombre significatif de parties, disqualifiera les opérations forestières de la certification ». Combien de personnes doivent mourir encore à Mount Elgon pour que le SGS accepte qu’il y a là un conflit « d’une certaine ampleur » ?
En juillet 2007, Stephan Faris, journaliste du magazine Fortune, a visité Mount Elgon. Il a rapporté qu’il y avait des conflits territoriaux graves autour du parc national et qu’un demi-million d’arbres de la fondation FACE avaient été abattus en 2006. Dans les terres défrichées, les paysans avaient planté du maïs, des haricots verts, des fruits de la passion, des avocatiers et des bananiers.
Mais la SGS préfère faire comme l’autruche face aux informations qui risquent d’affecter sa décision de certifier Mount Elgon. En septembre 2007, j’ai écrit à Gerrit Marais, membre de cette société, pour lui demander comment la SGS avait pu certifier un endroit où il y avait des disputes territoriales ; je lui ai envoyé le lien pour lire l’article du magasine Fortune et lui ai demandé des commentaires. « Je ne suis pas au courant de l’article de Fortune », a-t-il répondu.
Chris Lang, http://chrislang.org