La BAD a prêté plus d’un milliard de dollars à des projets forestiers depuis 1997, date du premier de ces projets. La plupart des projets récents financés par la Banque ont été considérés comme « partiellement réussis ou non réussis ». La Banque reconnaît qu’il y a eu « des problèmes dans la planification et la mise en œuvre » et que « ses investissements dans le secteur [forestier] ont eu un effet positif minimal sur la dégradation et la disparition des forêts ». Même cet « effet positif minimal » est le résultat d’avoir défini les plantations comme des forêts. D’après la Banque, éliminer les forêts et les fermes des paysans et les remplacer par des plantations d’arbres en régime de monoculture est quelque chose de « positif ».
Plus de 80 % des prêts de la Banque pour des projets forestiers ont été employés à la création de plantations. Ces plantations ont systématiquement échoué, à cause du mauvais choix des espèces, du feu, des maladies ou parce que la terre où elles ont été établies était déjà utilisée par les gens des lieux. Bien des projets de plantation de la Banque ont été mal conçus et mal supervisés.
Ces problèmes se voient clairement dans les documents de la Banque elle-même, comme le montrent les extraits suivants. Au Samoa, un projet a été retardé par « la longueur et parfois l’interruption des négociations pour obtenir la location de terres de propriété collective ». Aux Philippines, un projet de plantation de la BAD « avait des erreurs de conception et d’exécution ». Les plantations établies étaient mal entretenues et « se caractérisaient par un rythme de croissance des arbres très lent et irrégulier ». Au Bangladesh, des plantations ont été créées sur 20 000 hectares mais les villageois qui ont pris part au projet « n’en ont reçu que des bénéfices minimes ». De ce fait, « les participants étaient impatients ou résignés » et « le climat social risquait de devenir hostile ». Au Népal, seul un tiers des 5 000 hectares prévus par la Banque a pu être planté, « surtout en raison de l’invasion de squatters ».
Un projet en Indonésie, dont l’objectif était de planter des arbres à bois sur 51 000 hectares de « savanes et prairies improductives », n’a réussi à planter qu’un peu plus de la moitié de la surface prévue. D’après le Rapport de fin de projet de la BAD, les dégâts provoqués par les incendies et par le taux d’échec des espèces ont été « ahurissants ». Le choix des essences « n’avait pas été fait à partir d’essais en plein champ réussis, et il n’avait pas été suffisamment vérifié pendant la planification et la préparation des lieux ».
Au Kalimantan occidental, l’une des entreprises chargées de la plantation, Inhutani III, a eu des conflits avec la population indigène. Une ONG indonésienne (Institute of Dayakology Research and Development) a accusé Inhutani III d’utiliser la force pour s’emparer des terres des communautés autochtones. La Banque a engagé un consultant pendant quelques semaines, et elle a rejeté ces accusations, mais la zone du projet a été réduite afin d’en exclure « les zones susceptibles de faire l’objet de revendications territoriales ».
Au Laos, dans le cadre du Projet de plantations industrielles d’arbres de la Banque, les paysans ont reçu des prêts pour planter des eucalyptus. Beaucoup d’arbres n’ont pas poussé et les paysans n’ont pas eu les moyens de payer leurs dettes. « Des milliers d’agriculteurs et de personnes sans expérience ont été induits en erreur par la perspective de profits inaccessibles ; la plupart se sont fortement endettés, leurs plantations n’ont pas réussi et ils se sont retrouvés devant l’impossibilité de rembourser leurs emprunts », signale un rapport du Service d’évaluation des opérations de la Banque.
Le projet prévoyait aussi des plantations commerciales d’arbres. L’une des entreprises concernées, BGA Lao Plantation Forestry (achetée depuis par la société japonaise Oji Paper), a utilisé le financement de la Banque pour raser au bulldozer les terres communales, les forêts et les fermes afin de les remplacer par des plantations d’eucalyptus.
La supervision des projets de plantation que fait le personnel de la Banque est insuffisante. Au Laos, les missions de la Banque n’ont fait que très peu de voyages au-delà de Vientiane. Entre 1996 et 2003, les missions de supervision des projets de la Banque n’ont compté aucun spécialiste forestier. Entre juillet 2000 et février 2002, la Banque n’a envoyé aucune mission de surveillance au pays.
Lors d’un projet préalable aux Philippines, il y a eu une seule étude socio-économique et les sites du projet ont été visités une seule fois par un spécialiste forestier. Le Rapport de vérification des performances du projet signale : « Il y a eu peu ou pas d’évaluation de la croissance de la plantation, de l’adéquation du plan et des apports et compétences techniques du personnel du projet. Aucune assistance technique n’a été fournie en matière de sylviculture ni de gestion du projet. »
La BAD a entrepris en 2000 de revoir sa politique forestière. Une discussion ouverte sur les problèmes créés par les prêts de la Banque au secteur forestier (et sur les conséquences pour les gens et les forêts des prêts de la Banque pour la construction de routes, de barrages et de mines) se fait attendre depuis longtemps. Cependant, le dernier brouillon de la politique proposée présenté au public date de juin 2003. Depuis, le personnel de la Banque a promis à plusieurs reprises d’en publier une nouvelle version. En janvier 2008, Robert Paul S. Mamonong, assistant principal du service d’information au public de la BAD, a affirmé qu’un « brouillon de rapport de synthèse est en cours de révision et devrait être prêt en avril 2008 ».
Il y a quelques années, l’expert forestier de la BAD, Javed H. Mir, fit un exposé à propos d’une « Étude régionale sur la politique forestière et les réformes institutionnelles » menée par la Banque. À sa question : « Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire ? » il répondit lui-même : « Il ne faut pas commettre les mêmes erreurs ». Si la BAD avait suivi ce conseil, son histoire serait toute autre. Mais on dirait qu’elle est déterminée à persévérer dans l’erreur. Par exemple, le projet de politique forestière de juin 2003 vise à « accroître l’étendue et la productivité des plantations ».
Au lieu de continuer de promouvoir des problèmes, la Banque devrait arrêter de financer les plantations industrielles d’arbres.
Chris Lang, http://chrislang.org