Colombie : les affaires du piégeage de carbone, les territoires et les communautés

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La douzième session de la conférence des parties sur le changement climatique (CdP 12) s’est terminée il y a quelques jours. Une fois de plus, on a pu constater que les gouvernements et les parties concernées ont très peu d’intérêt à chercher des solutions tranchantes à la crise climatique à laquelle nous assistons. En revanche, il a été évident qu’il existe beaucoup d’intérêt à promouvoir l’application de stratégies inventées, axées sur les mécanismes du marché, parmi lesquelles ont une place de choix les projets de plantations forestières fonctionnant comme dépotoirs de gaz à effet de serre.

Parmi les projets MDP (mécanisme de développement propre), ces dépotoirs supposés attirent beaucoup l’attention des pollueurs des pays industrialisés, parce que les plantations en question permettent de maintenir en place le modèle responsable de la crise climatique, qu’elles peuvent être établies dans les pays appauvris à des coûts sensiblement inférieurs à ceux de leurs propres pays, et qu’elles représentent enfin une source supplémentaire de richesse.

Bien entendu, la réalisation de tous les projets de ce genre requiert de grandes étendues de terre. Or, la plupart de ces terres sont actuellement occupées par les populations indigènes, noires et paysannes du monde, qui représentent un obstacle pour les plans d’expansion des monocultures.

La CdP parle bien de la vulnérabilité et du fonds d’adaptation au changement climatique, mais elle devrait peut-être s’occuper de la grande vulnérabilité des communautés locales aux projets mentionnés qui, comme nous verrons plus loin, commencent déjà à avoir des effets négatifs sur les territoires et les populations.

La Colombie n’est pas étrangère à cette situation, comme cela se dégage des déclarations des membres de la délégation officielle, qui ont manifesté qu’ils participaient à la CdP attirés par la possibilité d’accéder aux ressources qui dériveraient des affaires du MDP.

Le gouvernement colombien possède un service du changement climatique au sein du ministère de l’Environnement, le Logement et le Développement territorial, où sont inscrits les projets approuvés dans le cadre du MDP, c’est-à-dire les puits de carbone forestiers. Ces projets sont aujourd’hui au nombre de huit, mais en fait ils sont douze, car l’un d’eux, le ‘Projet forestier national’, concerne cinq régions du pays.

La mise en oeuvre de ces 12 projets suppose l’utilisation de 222 885 ha, ce qui représente une augmentation d’environ 150 % de la superficie occupée par des plantations dans le pays. Pourtant, ce chiffre pourrait être bien plus élevé, considérant qu’un de ces projets comporte à lui seul l’utilisation de plus de 100 000 ha, sans que l’on sache quelles seront exactement ses dimensions. Comme il fallait s’y attendre, la plupart des essences qu’il est prévu d’utiliser sont exotiques : pin, eucalyptus, teck, melina et acacia.

À ce jour, seuls deux projets sont à l’étape d’implantation sur le terrain. Il est possible d’évaluer partiellement l’un d’eux et d’identifier les irrégularités visibles ou les aspects inquiétants (nous montrerons plus loin, à titre d’exemple, de quelle manière on entend établir plusieurs de ces projets dans les territoires collectifs de quelques communautés autochtones).

En examinant de près l’un des projets en exécution depuis 2002, ‘Procuenca’, nous voyons qu’en avril 2006 il y avait 3 200 ha de plantations établies, dont 60 % étaient des plantations de pins et d’eucalyptus. En ce qui concerne les modalités de mise en oeuvre, il faut mentionner les « contrats de comptes en participation », un système par lequel les propriétaires fournissent les terres pour l’établissement des plantations et reçoivent un prêt pour le reboisement commercial. L’argent provient du Certificat d’incitation à l’afforestation (CIF).

Ce qui précède veut dire que l’établissement des plantations est financé avec les ressources de l’État colombien, mais que, simultanément, il sera financé avec le produit de la vente de crédits de réduction d’émissions dans le cadre du MDP. Dans ce sens, ce projet est l’un des plus avancés, ou le plus avancé en ce qui concerne le commerce de crédits dans le pays. Les propriétaires ont une idée claire de la manière dont seront distribuées les sommes fournies par le CIF pour couvrir en partie la dette contractée, mais ils n’ont aucune information sur la distribution des sommes en provenance des crédits carbone, lesquelles seront versées au projet mais non à ses exécuteurs directement.

D’autre part, parmi les acteurs impliqués dans ce projet figurent ceux qui, au plan international, ont des intérêts manifestes dans l’affaire et dans le marché du carbone. Pour n’en citer que quelques-uns, en plus des consultants particuliers il y a la FAO, qui a été appelée à s’occuper de l’administration et de l’assistance technique afin de rendre le projet transparent ; en outre, il y a les grandes ONG, telle Conservation International (CI), chargée de l’élément d’additionalité que représente la conception de couloirs biologiques. Simultanément, cette organisation et la Banque mondiale apparaissent comme les principaux clients dans la vente des crédits sur le marché du MDP.

Passons maintenant aux projets dont la mise en oeuvre est en attente. Nous avons d’abord celui du Parc national naturel Paramillo, où il faut d’emblée remettre en question la réalisation d’une activité forestière productive dans un territoire dont l’utilisation est tacitement limitée à la recherche, l’éducation environnementale et la récréation passive. Dans le cas de ce parc, l’objectif invoqué est l’établissement de plantations forestières comme stratégie pour fournir aux petits propriétaires de nouvelles options économiques, pour garantir la protection du parc national et renforcer la conservation, ce qui est absurde si l’on compare cet objectif aux effets négatifs des plantations forestières, de leur gestion, de leur exploitation et du modèle général auquel elles sont soumises.

Finalement, il y a les projets conçus pour être établis sur les territoires des communautés indigènes, comme celui prévu pour la région des plaines du département de Cordoba, où se situe également le parc Paramillo. Dans ce cas, l’objectif est d’établir 1 500 ha de plantations destinées à apporter des avantages économiques aux communautés indigènes. On peut supposer qu’il s’agit de celles du peuple Zenú qui habite la région.

L’autre projet, dénommé ‘Renacimiento de la Orinoquía’, vise à établir plus de 100 000 ha de plantations de palmiers à huile, de pins, d’eucalyptus, d’hévéas, d’acacias et d’autres espèces sur les plaines orientales du département de Vichada. Là encore, l’objectif serait de fournir des options économiques à la population indigène locale. Dans ce cas, ce qui attire d’abord l’attention est que les territoires utilisés appartiennent à des communautés indigènes. Les zones concernées sont celles de Marandua, Carimagua, Cimarron et Wacoyo.

Un autre aspect important est l’absence de précision quant à la superficie à utiliser. En effet, il y a quelques mois on a présenté à l’Union européenne le projet de créer un puits de carbone de trois millions d’hectares, qui serait le plus grand de la planète. Le responsable de ce travail est Carlos Gustavo Cano, aujourd’hui membre du conseil de direction de la Banque de la République mais auparavant ministre de l’Agriculture. En tant que tel, il avait été chargé de présenter au Congrès le code forestier actuellement en vigueur, qui a supprimé toutes les mesures de contrôle de l’établissement et de la gestion des plantations et qui a facilité l’accès de l’investissement privé à l’exploitation des forêts colombiennes.

Les deux derniers projets mentionnés comportent plusieurs dangers pour les territoires et les populations indigènes du pays. Le plus grave est que le code forestier a éliminé les permis pour l’établissement de plantations et n’exige plus que d’inscrire ces dernières. Cela veut dire que l’on ne vérifie plus si les monocultures empiètent sur des territoires collectifs ou sur des zones protégées ou affectées à la conservation, ce qui empêcherait leur réalisation. La même chose se passe pour ce qui est de l’exploitation et la gestion des plantations.

D’autre part, il s’avère que le droit légitime des communautés indigènes à la « consultation préalable » est violé, du fait que la nouvelle réglementation adoptée par le gouvernement actuel limite l’exigence de consultation aux projets pour lesquels un « permis environnemental » est requis. Or, nous venons de voir que cette condition a été éliminée dans le cas des plantations établies en application du code forestier. Ainsi, les communautés n’ont pas de pouvoir de décision sur les activités prévues par des tiers sur leurs territoires, malgré les impacts futurs que nous avons décrits.

Diego Alejandro Cardona Calle, CENSAT Agua Viva, Les Amis de la Terre Colombie, adresse électronique : bosques@censat.org