Pendant les années 2000 et 1001, la Banque mondiale a organisé neuf consultations régionales avec des gouvernements, des industries et des organisations de la société civile du monde entier. Cette vaste initiative avait pour but déclaré de recueillir des contributions pour le développement de sa nouvelle politique opérationnelle sur les forêts. En outre, la Banque a institué un groupe consultatif externe (EAG) constitué d’experts, pour l’aider à formuler la nouvelle politique. Autant les consultations régionales que l’EAG ont fini par adresser à la Banque un message unanime et absolument clair : pour enrayer la perte et la dégradation des forêts du monde, la nouvelle politique opérationnelle doit être appliquée aux prêts de la Banque destinés à l’ajustement structurel.
Tout le monde sait à l’heure actuelle que les causes principales de la déforestation se trouvent en dehors du secteur forestier. Parmi ces causes extérieures, les plus importantes sont les politiques économiques mal conçues – parfois involontairement – qui poussent à l’élimination ou la transformation des forêts naturelles en favorisant les activités industrielles orientées à l’exportation, telles que les plantations et la récolte industrielle de bois, tout en affaiblissant ou en démantelant les organismes gouvernementaux responsables de la protection de l’environnement et de la société.
Le Département de l’évaluation des opérations de la Banque (OED) a identifié la libéralisation du commerce et les mesures de promotion de l’exportation comme des moteurs importants de la déforestation. Pourtant, ce sont précisément des politiques économiques de ce genre que la Banque mondiale encourage activement à travers ses prêts d’ajustement structurel, sans tenir compte de leurs conséquences environnementales et sociales. À présent, un tiers environ des opérations de la Banque est constitué par ces prêts à décaissement rapide qui soutiennent des politiques économiques orientées vers la privatisation des entreprises publiques, la promotion de l’exportation et la diminution du rôle régulateur des gouvernements.
Pendant la dernière décennie, l’ajustement structurel s’est attiré une réputation de plus en plus mauvaise, en raison des problèmes sociaux qu’il a causés et de son échec à favoriser le développement économique. En réponse à la perte de crédibilité toujours croissante de ses prêts d’ajustement, la Banque les a tout simplement rebaptisés « prêts de politique de développement ». Il s’agit en essence des mêmes politiques économiques, assorties d’un peu de rhétorique sur « l’appropriation » du programme par le gouvernement et le besoin d’institutions meilleures.
Le besoin de faire attention aux effets des prêts d’ajustement sur les forêts n’est pas une nouveauté. Le document de politique forestière de 1991 de la Banque promettait déjà de considérer les impacts négatifs potentiels des projets macro-économiques sur les forêts. Mais les propres évaluateurs de la Banque ont conclu en 2000 que, bien que les activités d’ajustement exercent beaucoup de pressions sur les forêts, il est rare qu’on en tienne compte, même dans les pays où les forêts sont importantes du point de vue macro-économique.
Malgré l’avis unanime des parties prenantes et des consultants, et malgré les conclusions de l’OED de la Banque, celle-ci ne mentionne pas l’ajustement structurel (ni ses hétéronymes : prêts programmatiques, prêts de politique de développement) dans sa nouvelle politique opérationnelle sur les forêts, qui est entrée en vigueur en novembre 2002.
L’adoption de la Politique opérationnelle 4.36 - Forêts a été très décevante, même pour les organisations qui appuient habituellement la Banque mondiale. Le directeur général de l’UICN (l’Union internationale pour la conservation de la nature), qui a aidé la Banque à organiser les consultations régionales, a alerté M. Wolfensohn, président de la Banque, sur la perte de crédibilité qu’elles comportaient, car elles étaient perçues comme une activité superficielle, puisque la Banque ne s’engageait pas vraiment à tenir compte de leurs conclusions.
La Banque a allégué que, pour des raisons d’efficacité, la révision de sa politique en matière d’ajustement structurel allait considérer les effets potentiels sur les forêts. Plusieurs membres du conseil de direction de la Banque se déclaraient inquiets face à la possibilité d’impacts négatifs. Pour les rassurer, la Banque a promis de mettre en place des mesures transparentes, au moment de la préparation des opérations, pour identifier les dégâts potentiels et aider les gouvernements à les éviter ou, du moins, à les atténuer.
Il semblait très peu probable qu’une nouvelle politique sur l’ajustement structurel puisse traiter convenablement d’un problème sectoriel spécifique tel que les impacts directs et indirects sur les forêts. En fait, la première version de cette nouvelle politique – la PO 8.60 sur les prêts de politique de développement, de décembre 2003 – ne mentionnait même pas le mot « forêt ». Cette légère omission a été corrigée dans la version définitive d’août 2004, mais avec quel résultat ? Les paragraphes sur « la pauvreté et les impacts sur la société » et les « aspects concernant l’environnement, les forêts et autres ressources naturelles » de la PO 8.60 signalent que la Banque déterminera s’il y aura des impacts significatifs sur l’environnement, les pauvres et les forêts, et évaluera les systèmes proposés par les emprunteurs pour les traiter. Si ces systèmes ont des défauts, la Banque s’engage à les décrire. Autrement dit, la Banque n’est pas obligée à prendre des mesures lorsque ses propres prêts sont nuisibles aux pauvres, dégradent l’environnement et dévastent les forêts.
D’après le personnel de la Banque mondiale chargé de l’environnement, il y a eu peu d’efforts pour définir une bonne méthode de présélection des prêts d’ajustement structurel qui, à l’heure actuelle, constituent surtout des soutiens budgétaires en général, quoique assortis de conditions de politique économique. Bien que certains prêts récents comportent l’engagement d’approfondir cette question, rien n’indique que les services de la Banque possèdent les ressources ou l’expertise nécessaires pour appliquer ne serait-ce que les directives très limitées de sa nouvelle politique de prêts de développement.
Dans la dernière politique opérationnelle de la Banque sur les forêts (PO 4.36) de novembre 2002, les dispositions concernant la protection des forêts sont considérablement affaiblies. La Banque avait promis que l’une des principales carences de cette politique – le fait qu’elle ne s’applique pas aux prêts d’ajustement structurel – allait être résolue par la nouvelle politique opérationnelle sur les prêts de développement (PO 8.60). Cette promesse n’a pas été tenue.
Les ONG et autres parties prenantes, les experts du groupe consultatif externe et les évaluateurs professionnels de la Banque ont investi beaucoup de temps et de ressources pour contribuer à la formulation de la politique forestière de la Banque. Leurs recommandations unanimes quant au besoin de faire en sorte que les politiques d’ajustement structurel n’aient pas d’effets négatifs sur les forêts ont été balayées. L’engagement pris auprès du conseil de direction de la Banque de mettre en place des mécanismes transparents pour trier les prêts d’ajustement structurel n’a pas été respecté. Tout ceci met en lumière des problèmes fondamentaux de responsabilité. Leur résolution se fait attendre depuis longtemps.
Korinna Horta, Environmental Defense, adresse électronique : khorta@environmentaldefense.org, http://www.environmentaldefense.org