A l’issue de la Conférence nationale sur la propriété communautaire des forêts qui s’est tenue du 2 au 4 avril 2004, environ deux cents représentants de diverses organisations ont décidé ensemble de s’opposer à la Banque mondiale pour sauver les forêts. La conférence était organisée par le mouvement Jharkhand Save the Forest, le Forum national des habitants et travailleurs des forêts et le Delhi Forum, et elle a eu lieu à Chalkhad, un village forestier de l’État de Jharkhand, dans la région orientale de l’Inde, où les populations autochtones sont majoritaires. Chalkhad est le village ancestral du leader rebelle légendaire Birsa Munda, qui dirigea à Jharkhand en 1899-1900 une lutte connue comme l’Ulugan (le grand tumulte) contre le gouvernement colonial britannique, en raison de l’érosion des khuntkatti ou droits de propriété communautaire des forêts. Birsa Munda fut arrêté et mourut dans la prison de Ranchi.
A l’arrivée des forestiers britanniques dans cette région tribale, plus de 600 villages munda jouissaient de droits khuntkatti et avaient la maîtrise de l’aménagement de leurs forêts. Les communautés avaient formulé des règles et des normes strictes sur la manière de les gérer et de les utiliser. La subsistance dépendait exclusivement de la récolte régulière du volume de produits, dont le bois, susceptible de se reconstituer chaque année. Le principe directeur semble avoir été ce que nous appelons aujourd’hui la durabilité. Ce ne fut donc pas par hasard que les Britanniques y trouvèrent de vastes étendues de forêt dans d’excellentes conditions.
Dans l’essentiel, l’approche coloniale consista à déclarer les forêts propriété de l’État et à restreindre les droits des populations forestières dans les zones contenant des espèces à forte valeur commerciale. La coupe rase fut la méthode utilisée dans les opérations forestières, suivie de la fermeture totale de vastes étendues de forêt au pâturage et à d’autres activités humaines telles que la collecte de bois de feu, de fourrage, de plantes médicinales, de bambou, etc. Pour superviser ces opérations, un ministère des Forêts fut créé en 1868.
La domination coloniale et la commercialisation qui s’ensuivit portèrent atteinte aux sociétés tribales, et ce de plusieurs manières. Elles favorisèrent la pénétration de leurs territoires par des gens de l’extérieur en provenance des plaines (prêteurs sur gages, commerçants, accapareurs de terres, fournisseurs de main d’oeuvre, etc.). Elles appliquèrent de nouvelles définitions de la propriété privée. Elles forcèrent la vente de terres par le désespoir de ceux qui se retrouvaient criblés de dettes. Elles exploitèrent impitoyablement les autochtones en tant que main d’oeuvre bon marché sous contrat. Elles provoquèrent une aliénation qui n’était pas seulement économique ou matérielle, mais concernait aussi la culture, la spiritualité et l’identité. En réponse, l’Ulugan de Birsa Munda fut la culmination d’une série de révoltes qui forcèrent les Britanniques à réfléchir et à mettre en place des mesures de sauvegarde et de protection des peuples autochtones et des communautés forestières. Le résultat fut la promulgation, en 1908, de la Loi foncière de Chotanagpur.
La Loi foncière de Chotanagpur interdit de transférer des terres à des personnes non tribales et garantit la propriété et les droits de gestion des communautés dans les régions khuntkatti. De ce fait, les forêts privées des zamindars (propriétaires terriens) furent restituées à la communauté Munda. Or, immédiatement après l’indépendance, la Loi forestière de Bihar désigna en 1948 les territoires khuntkatti comme forêts privées protégées, ce qui enlevait aux Mundas le droit de propriété et de gestion sur elles (cette région de Jharkhand faisait partie de l’État de Bihar jusqu’en septembre 2000). Toutes les terres appartenant à 600 villages furent cédées au ministère des Forêts (MF). La résistance des Munda obligea par la suite le gouvernement de l’État à rendre la terre à la communauté, mais la gestion resta entre les mains du MF.
Pendant les quarante années suivantes les forêts de Jharkhand furent pillées, de complicité avec les autorités du MF, et les peuples autochtones progressivement écartés de leurs forêts. Le couvert forestier originel fut presque entièrement détruit.
A la fin du vingtième siècle, lorsque s’intensifia le mouvement pour l’établissement du Jharkhand comme un État séparé vers le milieu des années quatre-vingt-dix, les peuples autochtones soulevèrent la question des droits sociaux, économiques et culturels et celle de l’autonomie politique. Les collectivités autochtones tributaires des forêts commencèrent à défendre leurs droits. A maintes reprises, les autorités du MF furent empêchées de pénétrer dans les forêts. Les paysans eux-mêmes commencèrent à prendre des mesures pour les sauver et les régénérer. Ce mouvement fut particulièrement fort dans les villages khuntkatti des districts de Ranchi et West Singhbhum. L’initiative se répandit aussi dans d’autres régions d’Hazaribagh et Santhal Parganas habitées par des tribus Santhal, Oraon et Ho qui n’avaient pas de droits khuntkatti.
Le nouveau gouvernement du Jharkhand n’ayant pas respecté les droits des peuples forestiers sur les forêts, le mouvement s’est formellement constitué en Jharkhand Jangal Bachao Andolan (Mouvement de Jharkhand pour sauver les forêts). Dans le but de restituer aux communautés la propriété et la gestion des forêts, il se répand maintenant comme une traînée de poudre à travers l’État. Les communautés forestières des régions non khuntkatti demandent elles aussi l’application chez elles du modèle khuntkatti et résistent l’invasion du MF. Simultanément, des comités de protection des forêts ont été créés dans les villages. Ils se réunissent une fois par semaine pour mettre en oeuvre les normes de base établies pour l’utilisation des produits de la forêt par la communauté, y compris le bois de chauffe.
Les délibérations de la Conférence nationale de Chalkhad, à laquelle ont participé plus de 300 représentants de peuples des forêts de plusieurs États de l’Inde, ont porté sur la menace que représente un projet forestier de la Banque mondiale, surtout dans le cadre du système khuntkatti du Jharkhand. En effet, dans ce projet, qui sera mis en oeuvre pendant les 16 ou 18 prochains mois et qui parle de la participation des communautés forestières à la conservation des forêts, on propose à ces communautés des moyens de subsistance alternatifs, de manière à les exclure de ces forêts qu’il faut sauver et conserver. Autrement dit, plutôt que de soutenir les communautés forestières dans la défense de leurs droits de propriété et de gestion, le programme de la Banque mondiale vise à les priver de ces droits et à couper leurs liens économiques, sociaux et culturels avec la forêt.
C’est la raison pour laquelle les communautés du Jharkahnd ont décidé de s’opposer à la Banque mondiale et de demander :
a) la restauration du système khuntkatti ;
b) l’application du modèle khuntkatti à d’autres régions forestières de l’État, et
c) le transfert de la gestion des forêts à la gram sabha (l’échelon le plus bas du modèle villageois de gouvernement autonome) dans les zones du Cinquième Programme en application de la Loi centrale de 1996 (extension du panchayati raj aux aires classées).
Par Souparna Lahiri, Delhi Forum, adresse électronique : delforum@vsnl.net