Les forêts et les régions boisées couvrent environ 24% (soit 5 millions d’hectares) de la superficie totale de l’Ouganda. De cette étendue, 80% correspondent à des forêts, 19% à des forêts humides d’altitude et 1% à des plantations commerciales. Environ 30% de ces forêts et régions boisées sont classés comme forêts protégées et tombent sous la juridiction gouvernementale. Les 70% restants sont soumis à diverses formes de contrôle privé ou coutumier.
Les forêts et les régions boisées font partie des ressources de la terre, et les questions foncières ont donc des implications importantes en ce qui concerne l’accès à ces espaces et à leurs produits. A l’époque précoloniale et malgré l’absence de réglementation formelle, les royaumes tribaux de la région appliquaient apparemment des normes environnementales grâce à un système de contrôle coutumier fondé sur les systèmes de connaissance autochtones. Sans excès de romantisme, on peut dire que les rapports entre les hommes et l’environnement dans les sociétés traditionnelles ougandaises précoloniales suggèrent que les gens vivaient à l’époque en une certaine « harmonie avec la nature ».
Les débuts de la période coloniale furent marqués par l’affluence de forces étrangères, dont les explorateurs et les missionnaires, suivis de chercheurs de fortune et d’intérêts commerciaux. Le point culminant de la conquête coloniale vit l’avènement de politiques de développement fondées sur le capital. Dans le secteur forestiers, les nouveaux entrepreneurs cherchèrent à augmenter leurs fortunes par l’extraction commerciale de bois, de caoutchouc sauvage et de café. En l’absence d’une quelconque réglementation, ces activités voraces aboutirent à la destruction des forêts. L’introduction des cultures commerciales et des impôts aggrava encore cette destruction, par le défrichement de terres destinées à l’agriculture et à d’autres activités productrices d’argent. Quant aux forêts protégées, leur création impliqua invariablement l’expulsion de communautés paysannes de leurs terres ancestrales.
La politique forestière au début de la période post-coloniale (de 1962 aux années 1980) n’apporta rien de nouveau. Plus tard, en 1988, une révision de cette politique, entreprise apparemment sur l’ordre de donateurs de l’extérieur, encouragea de nouvelles initiatives destinées à enrayer la déforestation, à réhabiliter le secteur forestier, à prendre conscience des problèmes environnementaux et à adopter une approche multisectorielle du problème, qui serait à l’origine de la création et la prolifération des ONG environnementalistes locales.
Cette politique forestière reflète une tendance à confondre la « gestion communautaire » et la « gestion en collaboration », à se centrer sur les lisières des forêts, et à privilégier le fonctionnement par projets. En raison de cette préférence pour les projets, qui impliquent des exigences telles que de montrer des impacts tangibles dans des délais limités, les initiatives de gestion forestière en collaboration perdent une bonne part de la flexibilité qu’elles seraient censées avoir en tant qu’expériences d’ordre social.
La politique de gestion forestière en collaboration met d’ailleurs l’accent sur la décentralisation, et ses premières étapes semblent avoir été dominées par les aspects politiques et fiscaux, au détriment des questions environnementales qui restèrent à l’arrière-plan. Sur le terrain, la gestion forestière en collaboration dirigée par le ministère des Forêts a été lancée à sept endroits, toujours sous la forme de projets financés par des donateurs.
Lorsqu’on parle des pouvoirs de gestion décentralisés en application des arrangements pour la gestion forestière en collaboration, on distingue deux types de réserves forestières. Il y a premièrement les parcs forestiers fermés à l’exploitation commerciale, tel celui de Mount Elgon. Les communautés y ont accès à certains produits de subsistance, dont l’extraction est estimée inoffensive pour l’environnement, suivant des programmes communautaires de gestion en collaboration. Ces forêts dépendent du Service ougandais de la faune et de la flore ou du ministère des Forêts, qui en ont la direction. Ainsi, les programmes de gestion en collaboration sont des sortes d’accords qui laissent en fait le pouvoir de décision à l’État et aux bureaucraties forestières.
Le deuxième type de réserves forestières est constitué par celles où l’extraction commerciale est permise. Le gouvernement central et les gouvernements locaux sont censés se partager le pouvoir de gestion de ces forêts. En principe, les gouvernements locaux sont responsables des réserves forestières de moins de 100 hectares, tandis que l’État s’occupe de celles de plus grandes dimensions. Or, aucun pouvoir de décision n’est accordé aux gouvernements locaux dans cet arrangement, et ce sont les autorités forestières du gouvernement central qui décident ce qui peut être exploité, par qui et à quel moment.
Ainsi, la décentralisation visée par les accords de gestion forestière en collaboration ne va pas au-delà de l’accès des communautés à un éventail limité de ressources. Malgré les beaux discours sur le renforcement des capacités communautaires, le gouffre qui existe entre les intérêts des collectivités locales et ceux des autres parties prenantes est, trop souvent et fort à propos, sous-estimé. C’est ainsi que la Communauté économique européenne a posé comme condition, pour le déboursement de son appui financier aux activités de gestion des ressources en collaboration, l’expulsion des communautés paysannes qui avaient empiété sur des aires protégées.
Dans le Parc national Mbale, la gestion forestière en collaboration incluait la restauration et la conservation de la forêt par la plantation d’arbres, dans les termes d’une initiative de l’organisation Uganda Wildlife Society – Forests Absorbing Carbon Emissions (FACE) financée par un consortium hollandais de génération d’électricité. A la suite d’une évaluation du dioxyde de carbone ainsi séquestré, le Projet de vérification des gaz à effet de serre a été mis en place. En commentant à quel point ces idées étaient éloignées de la réalité de la vie sociale quotidienne, Kanyesigye et Muramira rapportent les paroles d’un paysan de 75 ans : « ... en grandissant, nous avons vu que nos parents et nos grands-parents dépendaient de la forêt. La forêt est notre mère et notre père... Comment un inconnu peut-il venir et déclarer qu’il sait plus que nous sur ce qui nous a toujours appartenu ? »
Les initiatives de gestion forestière en collaboration ont eu de faibles répercussions sur la pauvreté et ne semblent pas avoir touché les plus démunis. Généralement, ceux qui en ont bénéficié sont les paysans relativement riches, qui étaient en mesure d’investir du travail, des terres et de l’argent.
Les extraits ci-dessus de l’étude d’Alois Mandondo montrent bien que la gestion forestière en collaboration, à part le fait qu’elle peut, dans certains cas, améliorer les moyens de subsistance de la population locale, n’a pas grand chose en commun avec la gestion communautaire qui accorde aux gens le pouvoir de décider sur le mode d’aménagement de leurs forêts.
Extrait et adapté de : «Learning from international community forestry networks – a Synthesis of Uganda Country Experiences», 20 août 2002, étude préliminaire menée par Alois Mandondo dans le cadre du projet du CIFOR : « Enseignements tirés des réseaux internationaux de foresterie communautaire », adresse électronique : mandondo@africaonline.co.zw