La Banque asiatique de développement (BAsD) a de grands projets pour les plantations au Laos. Le Mouvement pour les forêts tropicales (World Rainforest Movement) a eu accès à un rapport filtré d’une mission récente de la BAsD au Laos, lequel décrit comment la banque espère attirer des compagnies internationales de la pâte et du papier pour qu’elles investissent dans ce pays.
Au cours des dix dernières années, la BAsD a financé la plantation d’environ 12 000 hectares au Laos par l’entremise de son « Projet de plantations industrielles d’arbres », doté de 11,2 millions de dollars. Dans le cadre de son « projet de plantations forestières pour l’amélioration de la subsistance », la banque entend financer 30 000 hectares de plantations.
Dans le cadre des préparatifs pour ce dernier projet, une mission de la BAsD a visité le Laos du 19 juin au 4 juillet 2003. Dans le rapport de mission qui a filtré, la banque argumente que « le meilleur moyen de développer le sub-secteur des plantations est d’attirer et de faciliter l’entrée de compagnies de plantation multinationales [MPC - Multinational Plantation Companies] pour l’établissement de grandes plantations commerciales [LCP - Large Commercial Plantations] ». La BAsD projette de mettre en place « un ensemble de mécanismes d’incitation » pour encourager les multinationales à établir 500 000 hectares de plantations. En outre, la BAsD espère que les compagnies bâtiront deux usines de pâte d’un milliard de dollars, chacune avec une capacité de production d’un million de tonnes par an.
Toujours d’après le rapport mentionné, plusieurs multinationales sont déjà intéressées dans l’établissement de plantations au Laos, dont Stora Enso (Finlande-Suède), Riau Andalan (Indonésie) et Phoenix Pulp and Paper (Thaïlande). La banque a l’intention d’organiser un séminaire international, qui « offrira aux firmes intéressées une bonne occasion de mieux comprendre le potentiel significatif de l’établissement de vastes plantations commerciales dans le pays », dit le rapport de mission de la banque.
La mission de la BAsD a également proposé d’établir une société de développement des plantations du Laos, destinée à faciliter l’investissement en plantations dans le pays. La banque « explore déjà » la possibilité que cette société soit financée par le gouvernement français et le Fonds nordique de développement.
Une autre mesure de stimulation possible pour le développement des plantations au Laos consiste dans l’application du Mécanisme de développement propre (MDP) du Protocole de Kyoto. Le MDP permet aux pays du Nord d’obtenir des « crédits carbone » (de véritables permis pour continuer à polluer) en finançant dans le Sud des projets de plantations (ou autres) supposés réduire ou séquestrer les émissions de carbone.
Cependant, pour calculer combien de carbone sera absorbé par une plantation, et pendant combien de temps, il faut manier des hypothèses nombreuses. Il faut comparer la quantité de carbone qui sera séquestrée par la plantation avec ce qui se serait passé si la plantation n’avait pas existé. Une fois établie, la plantation peut brûler. Le feu peut se propager dans les forêts avoisinantes. Des ravageurs peuvent détruire de vastes étendues de la plantation. La sécheresse ou les inondations peuvent modifier les taux de croissance, et donc la capacité des arbres à fixer le carbone. Les paysans peuvent décider de couper les arbres pour réclamer leur terre. Ils peuvent défricher une autre zone boisée pour remplacer les terres agricoles qu’ils ont perdues à cause des plantations.
Heureusement pourtant, une nouvelle race d’experts clairvoyants est là pour scruter l’avenir pour nous. Louise Auckland, une « spécialiste du piégeage du carbone », se trouvait parmi les consultants de la mission de la BAsD au Laos. Auckland travaillait à l’époque avec EcoSecurities, une firme d’experts conseils qui « se spécialise dans la stratégie concernant les problèmes du réchauffement de la planète ». Parmi les services proposés par EcoSecurities à ses clients figurent des conseils pour présenter les projets de manière à augmenter leurs chances d’obtenir un financement en application du MDP.
Auckland ayant maintenant quitté EcoSecurities, son collègue Jan Fehse est maintenant responsable de son travail. Fehse est un expert : un « spécialiste en foresterie et en projets d’utilisation de la terre pour le carbone », qui possède une « connaissance profonde des politiques sur le changement climatique relatives à l’utilisation de la terre, au changement d’affectation des terres et à la foresterie », d’après le site d’EcoSecurities sur la toile.
J’ai demandé à Fehse comment EcoSecurities entend déterminer combien de carbone peut absorber une plantation, comment elle calcule ce qui se passerait si les plantations n’étaient pas effectuées, et comment elle détermine ce que ces plantations deviendront, par exemple, d’ici cent ans.
Au lieu de répondre à mes questions, Fehse m’a expliqué qu’elles « portaient sur la méthodologie pour l’établissement des lignes de base, la détermination des limites du projet, la modélisation de la dynamique du carbone à l’intérieur et au-delà des limites du projet ». Et il a ajouté : « Je vous suggère de lire d’abord les accords de Marrakech. »
Les accords de Marrakech ont été passés lors de la septième Conférence des parties (COP7) qui s’est tenue à Marrakech en 2001. Ils couvrent des aspects très techniques. Heureusement, ainsi que Fehse l’a signalé, « EcoSecurities a beaucoup d’expérience à propos de ces thèmes hautement techniques ». Mais, malheureusement, Fehse ne semble pas disposé à les expliquer.
EcoSecurities peut toujours arguer que son affaire est de trouver du financement pour le développement durable dans les pays pauvres. Cependant, en participant dans les projets de plantation de la BAsD au Laos, la compagnie contribue à fournir des subventions à l’industrie de la pulpe et du papier, une industrie qui est responsable de graves problèmes pour la société et l’environnement dans la Thaïlande voisine.
En 1995, l’économiste thaïlandais Pasuk Pongpaichit écrivait : « La théorie économique nous dit qu’il est correct de subventionner l’éducation, parce que toute la société en bénéficie. Or, tandis que les eucalyptus et les industries de la pâte et du papier profitent à quelques-uns, ils causent des problèmes à la société. Donc, suivant la théorie économique ils devraient être frappés d’impôts. Mais le gouvernement fait exactement le contraire. »
La BAsD est résolue à subventionner l’industrie de la pâte et du papier, sans le bénéfice d’une discussion exhaustive sur ses conséquences et sans savoir vraiment si la conversion de grandes surfaces du pays en monocultures d’arbres rentre vraiment dans la catégorie de « développement durable ». La conclusion de Pasuk sur les subventions en Thaïlande est elle aussi applicable au Laos : « C’est une question d’influence et de pouvoir ».
Chris Lang, adresse électronique : chrislang@t-online.de