Le gouvernement d’Alan García a présenté le projet de loi nº 840 ou ‘Loi de la forêt’, dont le but est de promouvoir l’investissement privé dans les activités de reboisement et d’agrosylviculture. Cette loi permettrait que les terres non boisées de l’Amazonie péruvienne, classées à tort comme des terres déboisées et vacantes, pourraient être aliénées au titre non pas de concession mais de propriété privée. Cela équivaudrait à ouvrir la porte aux grands capitaux pour qu’ils viennent établir des plantations industrielles d’arbres, car c’est en cela que consistent en général les ‘activités de reboisement’.
L’argument utilisé est que, pour encourager le reboisement, il faut attirer des investissements privés et donner des garanties aux investisseurs. Pour cela, il ne suffit pas de leur accorder des concessions pour 40 années renouvelables, comme prévu dans le Code forestier actuel ; il faut que ces terres leur appartiennent définitivement. Or, l’État ne peut pas contrôler ou réglementer les terres devenues la propriété de quelqu’un comme il le ferait s’il s’agissait de concessions.
Le projet a fait l’objet d’une forte opposition, entre autres choses parce qu’il contredit l’article 66 de la constitution, suivant lequel les ressources naturelles renouvelables et non renouvelables appartiennent au domaine public. Il a été dénoncé également qu’il n’y avait eu aucune démarcation préliminaire des terres déboisées qui feraient l’objet d’investissements, ni de l’endroit où elles se trouvent. Ainsi, la nouvelle loi pourrait encourager en fait le déboisement et dévaster l’Amazonie.
En outre, d’après un article publié par Servindi, il n’y aurait pas de grandes étendues de terres déboisées et vacantes, ni à Loreto, ni à Ucayali ou Madre de Dios. (1). L’article signale que « l’agriculture itinérante traditionnelle pratiquée par les paysans implique de laisser en jachère, pendant 10 ou 20 ans, la terre qui est ‘fatiguée’, pour que la forêt secondaire puisse se régénérer et que le sol récupère ses nutriments. La plupart des forêts secondaires en cours de régénération à Loreto ont des propriétaires, même si ceux-ci n’ont pas les titres de propriété correspondants ». D’ailleurs, « sur les presque 2 500 communautés indigènes et paysannes de Loreto, moins de 500 ont des titres et les autres ne possèdent aucune documentation qui garantisse leurs droits sur les fermes et les forêts qu’elles exploitent et qu’elles ont utilisées depuis des siècles pour leur subsistance ».
Le Premier Sommet de l’Amazonie a eu lieu le 17 février à Pichanaki, Junín. À cette occasion, on a proclamé les droits des communautés indigènes sur les terres de la Forêt centrale et de l’Amazonie, et dénoncé « l’intention du gouvernement d’Alan García de vendre aux enchères notre Amazonie, au profit des grands capitaux étrangers ». (2)
Le Deuxième Sommet de l’Amazonie s’est déroulé les 12 et 13 mars à Pucallpa, dans la région d’Ucayali. À cette occasion, on a relancé la « Plateforme des peuples originaires de l’Amazonie devant l’État péruvien et la communauté internationale face à un monde unipolaire ». (3) Dans son plan d’action figure l’exigence de « classer définitivement le paquet législatif qui contient le Projet de Loi de la Forêt » parce que, par ce projet de loi, on prétend nous dépouiller de nos territoires et des ressources naturelles de l’Amazonie ; nous demandons donc que notre propre initiative de développement communautaire soit prise en compte, et que les intérêts des grandes entreprises ne passent pas avant les nôtres ».
De nombreuses grèves et manifestations contre la loi 840 ont eu lieu dans la région de la forêt centrale. En mars de cette année, il a été rapporté sur la page web de « Con nuestro Perú » que « plusieurs milliers d’indigènes des peuples Shipibo, Konibo, Ashaninka, Yine et Cocama ont parcouru hier les rues principales de la ville de Pucallpa pour demander à l’État péruvien de classer les projets de loi 840 et 2133, ou Loi de la Forêt. À la marche pacifique, considérée comme l’une des plus grandes manifestations indigènes ayant eu lieu dans la région, sont venus se joindre des étudiants, des professionnels et des maires indigènes ». (4)
D’après les rapports de Servindi 85), le Groupe Romero est derrière l’initiative gouvernementale et dispose de dix millions de dollars pour acheter deux millions d’hectares dans l’Amazonie, dès que le projet aura été approuvé. Une partie de ces deux millions d’hectares serait affectée à la plantation d’arbres comme puits de carbone, que la société prétendrait commercialiser à la Bourse de New York grâce au mécanisme habilité par le Protocole de Kyoto. D’autres bénéficiaires seraient les administrateurs de fonds de pension, certains groupes de pouvoir et de hauts fonctionnaires du gouvernement actuel.
Reprenant la déclaration du Premier Sommet de l’Amazonie, « en raison du danger qui plane sur nos peuples nous déclarons l’Amazonie en état d’urgence et nous appelons toutes les Régions amazoniennes à empêcher la consommation de la violation de nos droits humains et constitutionnels, du droit à la vie et à l’environnement, à la diversité biologique et à nos ressources hydriques et énergétiques ».
Article fondé sur des informations apportées par Alain A. Salas Dávila, ONG INCODES, adresse électronique ongincodes@malko.com, www.malko.com/ongincodes ;
(1) “Selva y Desarrollo Regional”, José Álvarez Alonso, Servindi, http://www.servindi.org/archivo/2008/3346 ;
(2) Primera Cumbre Amazónica, 16 y 17 de Febrero de 2008, http://www.wrm.org.uy/paises/Amazonia/Cumbre.pdf ;
(3) “Plataforma de los pueblos originarios amazónicos ante al estado peruano y la comunidad internacional frente al mundo unipolar”, http://www.wrm.org.uy/paises/Peru/Pueblos_Originarios_Amazonia.pdf ;
(4) “Indígenas de Ucayali marchan contra Ley de la Selva”, 20 mars 2008, http://www.connuestroperu.com/index.php?option=com
_content&task=view&id=1681&Itemid=32 ;
(5) “Perú: ¿Por qué es criticado el Proyecto 840, “Ley de la Selva”?, janvier 2008, Servindi, http://www.servindi.org/archivo/2008/3332.