Le pouvoir des entreprises. Le cas du FSC local de l’Équateur.

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Le taux de déboisement de l’Équateur est l’un des plus élevés du monde. À cela concourent divers acteurs, parmi lesquels figurent non seulement les grandes entreprises forestières qui, en général, oscillent dans leurs activités d’extraction de bois entre la légalité et l’illégalité, mais également les entreprises qui défrichent pour installer de vastes monocultures d’arbres, qu’il s’agisse de palmier africain, de pins ou d’eucalyptus.

Pour apaiser l’opinion mondiale qui, devenue consciente des problèmes que cela comporte, rejette ces activités, le marché a trouvé une solution : la certification. Ainsi, il existe aujourd’hui en Équateur des projets fortement négatifs pour l’environnement et des entreprises très destructrices qui possèdent un certificat FSC, comme c’est le cas des vastes monocultures d’arbres destinées à piéger du carbone que possède l’entreprise PROFAFOR del Ecuador S.A., ou des plantations industrielles d’arbres des entreprises ENDESA et BOTROSA.

En Équateur, le groupe national légalement reconnu par le FSC est le Conseil équatorien pour la certification forestière volontaire (CEFOVE). Tout comme le FSC, il se compose de trois chambres, environnementale, économique et sociale. Elles en assurent la présidence à tour de rôle et, théoriquement, le pouvoir de décision est équitablement partagé entre les trois. Pourtant, aucune mesure n’ayant été prise pour s’assurer que leurs membres occupent vraiment la position qui leur revient, il y a eu des irrégularités et des abus divers commis par les entreprises forestières du groupe Durini (Setrafor, Endesa, Botrosa et Acosa) et par leurs groupes de pression : la Fondation forestière Juan Manuel Durini (FFJMD), la Corporation de gestion forestière durable (COMAFORS) et l’Association équatorienne des industriels du bois (AIMA). D’autre part, la chambre économique est sous l’emprise du GRUPO DURINI, qui détient la majorité absolue des voix grâce à l’affiliation de quatre de ses entreprises et deux de ses groupes de pression.

À titre d’exemple, l’entreprise PROFAFOR del Ecuador S.A., chargée de produire et de négocier en bourse des crédits de carbone, se trouve dans la chambre environnementale, alors qu’elle devrait appartenir à la chambre économique. Les autres membres de la chambre environnementale ont protesté, mais PROFAFOR a refusé d’introduire la modification correspondante. Pour l’année 2006, la présidence du CEFOVE revient à la chambre environnementale, avec PROFAFOR à la tête. Or, l’année dernière la présidence a été assurée par Juan Carlos Palacios, de COMAFORS, en représentation de la chambre économique, de sorte que les groupes économiques ont dominé pendant deux années consécutives.

D’autre part, la coordinatrice du CEFOVE travaille à mi-temps dans cet organisme et complète sa journée au Ministère de l’Environnement, dans le bureau du directeur forestier national. De cette situation découle un grave conflit d’intérêts, et la possibilité que les intérêts publics du Ministère de l’Environnement infléchissent la politique du CEFOVE et inversement.

Acción Ecológica et le WRM ont publié en 2005 le livre « Sumideros de Carbono en los Andes Ecuatorianos » (Les puits de carbone dans les Andes équatoriennes). Il s’agit d’une étude approfondie des effets négatifs des plantations de PROFAFOR. Or, les membres du CEFOVE n’ont pas traité de cette étude, et aucun commentaire n’a été formulé sur les arguments montrant qu’il devrait être impossible d’accorder une certification de bonne gestion aux monocultures en question. En revanche, l’élection de PROFAFOR à la présidence du conseil de direction du CEFOVE ne peut être interprétée que comme un soutien institutionnel à cette entreprise si controversée.´

C’est la chambre économique qui détient le pouvoir au CEFOVE. Cela est devenu évident en 2005, lorsque la Fédération du Centre Awá de l’Équateur (FCAE) – qui fait partie de la chambre environnementale – a présenté une plainte contre les entreprises Setrafor et Endesa/Botrosa (membres de la chambre économique) et contre Plywood Ecuatoriana et CODESA (membres indirects, par leur affiliation à COMAFORS et à AIMA). La FCAE dénonçait que ces entreprises avaient envahi son territoire et ses forêts, légalement reconnus comme Réserve ethnobotanique du territoire ancestral Awá, avaient causé de graves dommages écologiques et sociaux dans ce territoire et dans les zones immédiatement voisines, considérées comme zones tampon, et extrait des arbres sans l’autorisation correspondante des représentants légaux de la fédération.

Paradoxalement, c’est la FCAE qui a été mise en question, pour avoir dénoncé un membre du CEFOVE. En revanche, aucune mesure n’a été prise pour arrêter les entreprises forestières. Au contraire, le CEFOVE a déclaré que « les entreprises SETRAFOR, CODESA et PLYWOOD n’ont pas le contrôle absolu des procédés et des attitudes de leurs employés et leurs sous-traitants sur le terrain ». De surcroît, Endesa/Botrosa, avec l’appui du CEFOVE, a reçu cette année-là un certificat FSC émis par GFA Consulting Group pour ses plantations d’arbres. Ce certificat fait disparaître d’un coup de plume les plus de 40 années de violations des droits des populations locales et de dégradation environnementale, et ouvre le vaste marché international à l’une des entreprises les plus destructrices des forêts primaires équatoriennes.

Cependant, le manque de crédibilité du CEFOVE est devenu évident ces derniers temps, grâce à la démission de la FCAE et de la fondation Altropico, qui était l’un de ses membres fondateurs. Jaime Levy, directeur exécutif de l’organisation, explique dans une lettre ouverte adressée aux membres du CEFOVE et du FSC le 13 juillet 2006 : « Nous estimons qu’il est impossible de continuer de partager un espace dont les objectifs consistent à réussir une meilleure gestion écologique des forêts, le respect véritable de leurs propriétaires et une distribution juste des profits économiques des opérations forestières, avec des membres comme COMAFORS et les entreprises productrices de contreplaqué qui, à notre avis, sont responsables de la disparition presque totale des forêts du Chocó à Esmeraldas ». « Ce patrimoine des Équatoriens et du monde est gravement menacé par les activités de ces entreprises ; en dépit de leurs discours sur la conservation et la gestion durable des forêts indigènes qui restent, et malgré leur appartenance au CEFOVE et au FSC, la réalité que nous avons vue ces dernières années dans le Nord d’Esmeraldas est tout à fait différente. Et, à l’heure actuelle, en ce moment même, l’exploitation des forêts résiduelles avec des machines lourdes se poursuit à un rythme accéléré, avec très peu de contrôle de la part du Ministère de l’Environnement. »

Les plantations certifiées de l’Équateur sont une preuve des failles du système ; celui-ci est dominé par les forces économiques qui contrôlent le CEFOVE, représentant du FSC pour l’Équateur. Leur énorme pouvoir et leur influence conspirent contre la population locale et contre le besoin de conserver les forêts.

Natalia Bonilla, Acción Ecológica, adresse électronique : foresta@accionecologica.org, et Klaus Schenck, adresse électronique : klaus@regenwald.org